Moussa Makan Camara, auteur de « Panorama de la Politique extérieure du Mali» : « La voix du Mali était audible, crédible, militante et combative »

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Livre : Moussa Makan Camara lance « Panorama sur la politique extérieure du Mali : 1960-1990 »
Moussa Makan Camara

Le livre « Panorama de la Politique extérieure du Mali 1960-1990 » de Moussa Makan Camara a été lancé le 3 août dernier au Centre Djoliba de Bamako au cours d’une cérémonie présidée par le ministre des Affaires étrangères, de l’Intégration africaine et de la Coopération internationale, Abdoulaye Diop. La maison d’édition, La Sahélienne, par la voix de son patron, Ismaïla Samba Traoré dira que Moussa Makan Camara est un auteur rompu à la tâche, un homme engagé dans la réflexion, un expert incontournable dans les questions de relations internationales. En saluant la constance d’un homme, l’un des meilleurs diplomates qui n’a pas eu la reconnaissance qu’il mérite de la part de la nation, le ministre Abdoulaye Diop a déclaré que ce livre est un ouvrage de référence. En marge de cette cérémonie de lancement, l’auteur a bien voulu s’entretenir avec nous.

Dans cette interview, l’ancien fonctionnaire international et ambassadeur du Mali en France parle de son livre et  fait une petite ouverture sur le rôle de la bonne gouvernance dans la stabilité.

Le Challenger : Monsieur Camara, qu’est-ce qui vous a motivé à écrire un livre sur la politique extérieure du Mali ?

 Moussa Makan Camara : Mieux éclairer ma compréhension, rendre compte de l’histoire et m’acquitter d’un devoir citoyen. J’ai écrit ce livre d’abord pour la gouverne de ma propre compréhension d’un domaine qui est devenu par la force des choses et celle de ma propre volonté, mon périmètre d’activité professionnelle : les relations internationales. Evidemment la politique extérieure du Mali dans le concert des nations, vient en premier lieu.

Ensuite, le livre suit la logique de toutes les publications qui deviennent une «proposition de regard», une certaine vision des choses et des êtres d’un individu à un moment donné de l’évolution de ces êtres et de ces choses. De ce fait c’est un témoignage pour l’histoire.

Enfin, j’ai voulu apporter ma modeste contribution à la connaissance et à la promotion de notre outil des relations extérieures à un moment donné de notre  histoire.

Vous insistez sur les fondements historiques et politiques avec un rappel des périodes de nos empires et royaumes. En quoi cela est-il  important à vos yeux ?

Vous savez, quand nous percevons une forêt de loin, que voyons-nous ? Les feuillages, les branches, les fleurs et les fruits dépendamment des saisons, des oiseaux qui chantent, des innocents animaux sauvages comme des fauves et des reptiles etc. Quand  nous y pénétrons, nous voyons les immenses branches supportées par les troncs dont certains témoignent le poids de l’âge. Nous nous rendrons compte au pied d’un majestueux baobab que celui-ci est solidement planté dans le sol nourricier qui lui donne force, élégance et résistance. Cette énergie vitale de  l’arbre vient de ses racines qui plongent profondément dans le sol pour y retirer les substances nécessaires à sa croissance et  à son épanouissement.

Les racines sont les fondements historiques et politiques  de la politique extérieure,  les troncs, les branches, les feuilles en sont  les institutions, les fleurs et les fruits  sont  nos valeureux diplomatiques qui ont la redoutable charge  de défendre les intérêts du Mali dans le concert des nations. Les oiseaux, les innocents animaux, les fauves et les reptiles sont  nos voisins proches et lointains, nos amis et ceux qui nous aiment moins. De la vitalité des racines, dépend  la densité, la richesse et l’hospitalité de la forêt.

En quelques mots, les fondements historiques et politiques sont pour la politique extérieure d’un pays, ce qu’est le soubassement pour un immeuble et les racines pour les arbres. Sans fondement, le plus bel édifice s’écroulera et sans racines, le plus majestueux arbre s’étiolera.

Est-ce que les valeurs que vous évoquiez dans la partie « fondements historiques et politiques » peuvent jouer un rôle dans la résolution de la crise que traverse notre pays depuis quelques années?

Oui certainement. Toutes les fois que je déverrouille mon téléphone, une bande filante me dit ceci «  Il n y a pas de bon port  pour celui qui ne sait pas où il va » et moi j’ajoute toutes les fois que je le lis, « il n y a pas de bon port pour celui qui ne sait ni d’où il vient, ni où il va ».

Je vais me référer à l’Empire du Mali, je pouvais faire autant et avec le même degré de persuasion pour les empires, royaumes et principautés pular,  tamasheq, sonrai, soninké, bobo, bamanan etc. Quand je dis ici Manden, entendez Mali et Mandenka, entendez Maliens sans aucune autre connotation.

Quand Makan Sunjata tirant les leçons de l’histoire du Manden dit, « Sachez-le, je vous le dis, le temps d’une seule personne ne finit pas le monde ! Aussi longtemps qu’on ait exercé le pouvoir, quelqu’un saura te l’arracher le jour où il doit prendre fin.… ». Ne peut-on pas voir par ces mots, la nécessité de l’alternance dans l’exercice du pouvoir ?

Quand Sunjata demanda aux bourreaux de laisser la vie sauve à Bambagana  Kanté, après l’avoir vaincu, n’est-ce pas là le droit de grâce avant l’heure ?

Quand Sunjata fait dire par ses griots à ses lieutenants ceci, « …Cessons de nous assaillir les uns les autres et d’aller nous livrer aux autres…j’ai voulu que le Manden devienne droit… ». N’est pas la volonté du chef de combattre tous les comportements déviants dans la gestion du bien commun ?

Quand les griots continuent en portant la voix de Sunjata disant que  « …La guerre seule ne peut faire la paix et l’entente. Nous avons besoin de construire l’entente entre tous les Mandenka ; je veux convier tous les patriarches du Manden à une grande rencontre ; ensemble, nous examinerons les affaires du Manden…j’ai besoin de l’adhésion de tous… ». N’est-ce pas là une invitation au dialogue inclusif que justement le Mali contemporain attend de la  Conférence d’entente et de réconciliation nationale prônée par le récent Accord  pour la paix ?

Enfin quand au cours de la  rencontre, il est dit que le moment est venu pour les Mandenka de se parler, de se dire la parole qui construit , sans exclusion ; même et surtout les rois et souverains vaincus sont non seulement invités, mais avaient le droit et le devoir de dire la parole qui construit, la parole qui rassemble, car c’est par la parole que les Mandenka seront désormais liés ; une parole qui aura valeur de serment  dont chacun doit y être fidèle et loyal.. ». N’est-ce pas  que les griots de Sunyata et certainement leurs valeureux descendants le feront, ne peuvent-ils pas s’adresser  à la conférence  d’entente en préparation avec les mêmes termes ?

Vous reconnaissez que la voix du Mali était audible et crédible. Est-ce le cas à nos jours ?

Oui la voix du Mali comptait alors dans les affaires du monde. En Afrique d’abord, quand le Président Modibo Kéita dit  dès 1961, « …Nous devons mesurer l’ampleur des risques que court  une Afrique divisée et mettre à l’arrière-plan nos préoccupations particulières lorsqu’elles sont des facteurs de division, pour  ne nous attacher qu’à ce qui peut nous unir… ». N’avait-il pas fondé l’Union Africaine avant l’heure. D’ailleurs, le terme Union Africaine a été utilisé pour la première fois par le Président Modibo Kéita et cette union  eut comme premier Président  Alpha Oumar Konaré qui y laissa  sa marque.

Sur la tribune des Nations Unies, les délégations maliennes de la première République firent entendre et respecter la voix du Mali : que ce soit sur  les questions de décolonisation, de lutte  contre l’apartheid, de commerce international ; de service de la dette, de désarmement et les voies de la construction de la paix.

Parlant de l’importance du dialogue dans la résolution des crises, le Président Moussa Traoré  disait « …Les foyers de guerre et tension se multiplient en raison du non-respect des principes universels consacrés par la charte des Nations Unies…Ces principes qui constituent la constance de la politique extérieure de la République du Mali, se fondent sur la profonde conviction du peuple malien que les relations internationales seraient impossibles sans ces nobles idéaux. L’histoire diplomatique des quatre dernières décennies enseigne que l’usage de la force n’apporte jamais de solution définitive aux problèmes des Nations. Sans la paix, il n’y a pas de civilisation… ».  La voix du Mali était donc,  non seulement  audible et crédible, mais elle était militante et combative.

Pour ce qui est de la qualité de la politique extérieure de nos jours, je laisse le soin à vous « historiens du présent »  de nourrir l’opinion.

Etes-vous nostalgiques lorsque vous reconnaissez l’engagement du Président Modibo Kéïta à défendre la souveraineté nationale face à certaines adversités comme celle de l’ancienne puissance coloniale ? 

Admiratif, certainement. Nostalgique, pas tout à fait, car je sais que les femmes et les hommes  d’aujourd’hui peuvent s’inspirer de ces  actions pour bâtir le Mali de leur temps. Parce que je crois en la perfectibilité de l’homme, je ne saurai me complaire dans une nostalgie passive. Je suis un homme d’action, pas un intellectuel contemplatif. Ma conviction est qu’il faut agir sur les choses, même et surtout les choses difficiles, pour les transformer qualitativement, pour les dépasser dialectiquement.

Vous êtes le Président de la Fondation balanzan pour la gouvernance et la stabilité. Selon vous, quelle peut être la place de la bonne gouvernance dans le maintien de la stabilité dans un pays comme le Mali où les institutions se sont écroulées en quelques heures en mars 2012 ?

Nous sommes loin de notre sujet, mais c’est là un autre centre d’intérêt pour moi. En effet, la question de gouvernance est capitale dans la stabilité. Sans gouvernance politique et institutionnelle éclairée, point de paix, point de sécurité. Sans paix et sans sécurité,  point de développement.

Donc le triangle  isocèle Démocratie – Paix & Sécurité – Développement est   le paradigme de la stabilité. Nous pouvons traiter de cela une prochaine fois.

Propos recueillis par Chiaka Doumbia

 

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