Tiebilé Dramé : le dernier souffle d'un bâtisseur !
Bamako est en deuil, ce vendredi 15 août 2025. Le Fleuve Niger semble ralentir sa course, comme pour accompagner le dernier voyage de l’un de ses fils les plus illustres. Le grand baobab de la presse malienne s’est couché. Tiébilé Dramé, fondateur du journal Le Républicain, s’est éteint le 12 août à Paris.

Le Mali pleure un homme dont la vie fut un combat permanent pour la liberté d’expression, la dignité humaine et la vérité. Son départ marque la fin d’une époque pour la presse malienne, mais aussi l’occasion, pour les professionnels de la communication que nous sommes, de lui rendre hommage avec ce qu’il nous a enseigné: l’art d’écrire avec justesse, de penser avec exigence, et de produire une copie propre. Cette fois-ci, l’exercice est un témoignage de recueillement, exclusivement centré sur l’homme de médias qu’il fut, et dont l’empreinte demeure indélébile.
Parler de Tiébilé Dramé, homme de médias, n’est pas chose aisée tant il a marqué de son empreinte la presse privée malienne, dont il fut et reste une figure tutélaire. Avec l’avènement du pluralisme en 1991, Dramé rentre au pays après un long exil. Des voix mieux autorisées évoqueront son combat militant. Mais ici, nous parlons de celui qui fut au-devant de tous les combats de la presse malienne. Journaliste, patron de presse, formateur, il a incarné l’engagement éditorial dans sa forme la plus noble.
En 1992, il fonde "Le Républicain", avec l’ambition d’en faire un hebdomadaire de référence au Mali et dans la sous-région. Il croyait profondément en son projet: doter le Mali d’un grand journal capable d’accompagner l’essor de la presse privée. Il n’hésita pas à faire appel à des journalistes chevronnés, comme Saouti Haidara, qu’il alla chercher à Dakar. Dramé voyait grand et faisait tout en grand. "Le Républicain" est lancé avec un tirage de 20 000 exemplaires, un chiffre inédit à l’époque. Très vite, le journal devient une référence nationale.
Soucieux de la qualité et du contenu, Dramé conseillait à ses journalistes la rigueur, le sérieux et le professionnalisme. Il ne se contentait pas de diriger: il formait, il corrigeait, il inspirait. Comme le raconte un ancien rédacteur : «Il ne corrigeait pas seulement nos textes, il nous corrigeait nous-mêmes. Il nous apprenait à penser, à douter, à vérifier, à écrire pour servir».
Autour de lui, une génération de journalistes s’est formée: Saouti Haidara, Yaya Sidibé (Paix à son âme), Beydi Haidara, Mamadou Lamine Doumbia (Paix à son âme), Issa Doumbia (Paix à son âme), Cheikhna Hamalah Sylla, Khaly-Moustapha Lèye, Ely Dicko (Paix à son âme). Puis, Ibrahima Traoré (Franky), Boukary Daou, Ibrahim Maïga, Adam Thiam (Paix à son âme), Lamine Tiécoura Coulibaly (Paix à son âme), Dr Guimbala Diakité (Paix à son âme), Aly Badara Kéita (Paix à son âme), Salif Koné, Dr Brahima Fomba, Sékou Tamboura, Fousseyni Traoré, Birama Fall etc.
L’équipe de rédaction n’était pas seulement un groupe de rédacteurs, mais une école de pensée. Plusieurs de ses collaborateurs ont fondé leurs propres organes de presse ou occupé des postes clés dans le paysage médiatique malien. L’influence du journal est le reflet direct de la vision de son fondateur : offrir une tribune libre dans un Mali où les médias étaient encore fragiles.
Diplômé de l’École normale supérieure de Bamako, Dramé était un intellectuel rigoureux. Sa quête de savoir l’a mené jusqu’à l’Université Paris I, où il obtient un DEA en histoire de l’Afrique. Cette soif de connaissances fut le moteur de son engagement, qu’il mit au service de la vérité et de la justice, bien au-delà des frontières du Mali.
Il a servi comme consultant pour les Nations unies au Burundi, à Haïti, à Madagascar, et fut directeur de recherche pour la mission de l’ONU en Haïti. De 1988 à 1991, il collabora avec Amnesty International à Londres en tant qu’enquêteur sur les droits humains en Afrique de l’Ouest. Il anima aussi des cours d’alphabétisation dans les foyers de travailleurs immigrés à Paris. Ces expériences internationales ont forgé son regard critique et sa stature de médiateur, faisant de lui une voix respectée sur la scène mondiale.
Avant d’être le bâtisseur de presse, Dramé fut un militant étudiant indomptable. Dès la fin des années 1970, il fut une figure centrale de la contestation au sein de l’Union nationale des élèves et étudiants du Mali (UNEEM). Élu Secrétaire Général en décembre 1978, il précéda Abdoul Karim Camara, dit Cabral, élu en 1980. Le meurtre de Cabral, assassiné le 17 mars 1980, fut un tournant tragique. Dramé, arrêté puis exilé en 1981, poursuivit son combat depuis l’étranger.
L’héritage de l’UNEEM, symbolisé par le courage de Cabral, est un socle moral qui a formé plusieurs figures majeures et inspiré la transition démocratique de 1991. Les revendications de l’époque - liberté d’expression, justice sociale, dignité étudiante - résonnent encore dans les débats contemporains.
L’héritage de Tiébilé Dramé est immense. Son œuvre intellectuelle, disséminée dans des tribunes, des articles, des rapports, est une source précieuse pour comprendre les dynamiques du Mali et de l’Afrique. De ses analyses sur la gouvernance à ses appels à la solidarité internationale, sa pensée reste d’une rare lucidité. Comme il le disait: «Ce qui se joue au Mali, ce n’est pas seulement la sécurité du Mali, mais celle du monde».
Son départ est une perte. Mais son œuvre est un legs. Il a laissé derrière lui une presse debout, des journalistes formés à l’exigence, et une tradition de courage intellectuel qui continue d’inspirer. Son combat ne s’éteint pas. Il vit dans chaque article, chaque émission, chaque débat qui se tient au Mali au nom de la vérité.
Cheickna H Sylla
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