Suicide au troisième pont de Bamako : Un cri silencieux qui interpelle

Depuis plusieurs années, le troisième pont de Bamako est tristement devenu le théâtre d’actes désespérés.

23 Août 2025 - 10:38
23 Août 2025 - 10:42
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Suicide au troisième pont de Bamako :  Un cri silencieux qui interpelle

Des hommes ou des femmes se jettent dans le fleuve, laissant derrière eux des interrogations poignantes : Pourquoi ce geste tragique ? Quelles en sont les causes profondes ? Quel rôle joue la société dans ce phénomène silencieux ?

 Ce phénomène n’est pas isolé. En octobre 2020, deux hommes se sont suicidés à quelques jours d’intervalle. En 2019, une femme s’était également jetée du pont. Plus récemment, en 2025, une autre femme a mis fin à ses jours au même endroit. Ces événements soulèvent de vives inquiétudes sur la montée du mal-être psychologique dans la société malienne.

Pour Dr. Daouda Guindo, psychologue et spécialiste en genre et développement au cabinet de l’Organisation malienne de psychologie, le suicide n’est pas nouveau dans notre société. Il précise que l’ampleur des réseaux sociaux semble en amplifier la visibilité et parfois même l’effet domino.

"Le suicide existe et a toujours existé tant qu’il y a interaction entre les hommes. Et cela continuera. Pour y remédier, il faut une communication ouverte", explique-t-il. Selon Dr. Guindo, les causes du suicide sont souvent multiples : humiliation, déception, trahison…

"Chaque cas est unique. Chaque histoire a ses causes profondes et ses réalités propres", souligne-t-il. La société malienne joue un rôle crucial dans la prévention du suicide. Le psychologue insiste sur l’importance de l’écoute active.

"Il faut être à l’écoute des souffrances muettes que les gens manifestent. Nous vivons dans une société de compilation, où les mécanismes de protection face aux situations difficiles tendent à disparaître", préconise-t-il tout en appelant à une approche plus humaine et inclusive comme être attentif sans jugement, normaliser les émotions exprimées par les proches, les enfants, les femmes et surtout de démystifier les cas de suicide pour briser le tabou.

"La société peut jouer un rôle clé en brisant le silence et en créant des espaces de parole. C’est vraiment essentiel", conclut le psychologue.

Awa Coumba Sanogo

(stagiaire)

 

Dr. Moussa Coulibaly, Sociologue :

"Le suicide est le reflet d’une société en crise"

 Alors que le troisième pont de Bamako devient tristement célèbre pour des actes de suicide, le sociologue Dr. Moussa Coulibaly nous livre une analyse lucide et engagée sur les causes de ce phénomène. Entre fragilisation du tissu social, isolement croissant et absence de mécanismes d’écoute, il appelle à une mobilisation collective pour prévenir ces drames silencieux. Entretien.

 

Mali Tribune : Quelles sont, selon vous, les principales causes des suicides au troisième pont ?

Dr. Moussa Coulibaly : Ce n’est pas une question de fatalité ou d’esprits malveillants. Ce sont des personnes en détresse qui choisissent ce lieu parce qu’il est discret, en retrait. Ce choix révèle un besoin d’agir sans être retenu. Mais au fond, cela traduit une fragilisation du tissu économique et social, surtout ces cinq dernières années. Même si le pays tente de se relever, il est urgent de recréer des conditions de solidarité et d’encadrement pour que chaque individu se sente soutenu.

 Mali Tribune : Comment la société peut-elle mieux accompagner les personnes en détresse ?

Dr. M. C. : Autrefois, le suicide était rare et peu étudié. Aujourd’hui, la pression sociale s’intensifie, et la famille, censée être le premier rempart, ne joue plus pleinement son rôle. La solidarité a été remplacée par la rivalité. L’individualisme croissant crée des situations d’isolement, et un individu isolé devient vulnérable. Le stress, le manque de communication, la méfiance au sein des familles aggravent la situation. Les réseaux sociaux ont pris le pas sur les échanges réels, réduisant les espaces d’écoute.

 Mali Tribune : Quelles politiques publiques pourraient prévenir ces suicides ?

Dr. M. C. : Notre culture valorise parfois l’honneur au détriment de la vie. La honte et le déshonneur deviennent insupportables dans une société où la solidarité s’efface. Avant, l’humiliation d’un ami était vécue comme la tienne. Aujourd’hui, la souffrance d’un proche devient source de moquerie. Il faut recréer des mécanismes de soutien :

Mettre en place un numéro vert gratuit, animé par des psychologues, rattaché au ministère de la Santé ou des Affaires sociales, créer des structures d’écoute et de conseil accessibles à tous, réhabiliter le rôle protecteur de la famille, qui doit redevenir un refuge et non un lieu de jugement.

Mali Tribune : Quel message adresser aux familles et aux communautés ?

Dr. M. C. : Les déceptions sentimentales jouent un rôle, mais elles sont secondaires face aux pressions économiques et sociales. La famille doit revoir son "plan de sauvetage". Elle doit redevenir un espace d’accueil, de protection et de solidarité. C’est autour des personnes en difficulté que doit se tisser une chaîne humaine, capable de prévenir l’irréparable.

Propos recueillis par Namigna Koné

(stagiaire)

Dépression au suicide :

Le cri silencieux de Djénébou

 

A 16 ans au moment des faits, Djénébou a tenté de mettre fin à ses jours à cause d’une dépression profonde. Son histoire est celle d’une adolescente en quête d’amour et de reconnaissance, confrontée à un environnement familial hostile.

 Tout a commencé pendant les cours de vacances. Chaque jour, en rentrant de l’école, sa mère l’accueillait avec des insultes : "pétasse", "mauvaise fille", "bordel"… Des mots violents, répétés, qui ont fini par la briser.

Pourtant, Djénébou ne faisait rien de mal. Elle n’avait pas de petit ami, elle rêvait simplement de réussir. Mais sa mère, influencée par les rumeurs du quartier, ne cherchait ni à comprendre ni à dialoguer.

Avant de vivre avec sa mère, Djénébou était élevée par une tante autoritaire qui la maltraitait : corvées incessantes, privation de nourriture, coups… Seule sa grand-mère lui offrait un peu de réconfort, sans pouvoir la protéger.

Quand sa mère l’a finalement récupérée, l’espoir d’une vie meilleure s’est vite éteint. L’affection maternelle était réservée à sa cadette. Les disputes entre les deux filles se multipliaient, et la mère prenait systématiquement le parti de la cadette. Un jour, après une nième altercation, sa mère lui a dit qu’elle ne comptait pas sur elle. Ce fut la goutte d’eau.

 Tentative de suicide

Djénébou a cherché un couteau pour en finir. Ne le trouvant pas, elle a demandé à l’aide-ménagère le poison destiné aux souris. Elle l’a mélangé à de l’eau et l’a bu. Puis, elle a informé sa petite sœur de son geste.

La panique s’est installée. La porte de sa chambre était verrouillée. L’aide-ménagère et les voisins ont forcé l’entrée, lui ont fait boire du lait pour neutraliser le poison, puis l’ont conduite à l’hôpital.

Là-bas, elle a reçu des soins intensifs : lavage gastrique, médicaments, sérums… Malgré tout, un oncle l’a grondée violemment, en rajoutant à sa douleur. Mais grâce à l’intervention rapide des voisins et du personnel médical, elle a survécu.

Quelques jours plus tard, elle a été orientée vers un psychologue. Lors de la première séance, elle n’arrivait pas à parler en présence de sa mère. Le psychologue lui a alors proposé un entretien en tête-à-tête. Ce qu’il a entendu l’a profondément marqué : une mère absorbée par son travail, incapable d’offrir affection et écoute à sa fille.

Après deux mois de suivi, le psychologue a recommandé une activité sportive pour l’aider à canaliser ses émotions. Djénébou s’est mise au basket-ball, ce qui l’aide encore aujourd’hui à se reconstruire.

Sa mère, consciente de ses erreurs, a commencé à se rapprocher d’elle. Peu à peu, un lien se reforme, fait d’écoute et d’affection.

Awa Koné

(stagiaire)

 

MICRO-TROTTOIR

Ce que les Bamakois pensent de ce phénomène

 Alors que le troisième pont de Bamako devient tristement associé à des actes de désespoir, plusieurs jeunes femmes croisées dans la ville de Bamako partagent leurs réflexions sur les causes profondes du suicide et sur le silence qui entoure la souffrance mentale. Entre appel à l’écoute, dénonciation du tabou et plaidoyer pour la santé mentale, leurs témoignages révèlent une prise de conscience urgente.

 Oumou Kadidia Koné (lycéenne) :

"Parfois, les gens souffrent en silence parce qu’ils ont peur d’être jugés ou trahis par ceux qu’ils aiment. Si on tendait la main au lieu de pointer du doigt, si on écoutait vraiment, peut-être que certains drames seraient évités. Il faut apprendre à soutenir sans juger".

Mariam Bouaré (étudiante) :

"Je pense que certaines personnes se jettent du troisième pont à cause de la dépression, des problèmes familiaux ou des troubles mentaux. Mais pour moi, aucun problème ne devrait pousser quelqu’un à se donner la mort. Il faut chercher de l’aide au lieu de céder au désespoir".

Binta Bagayoko (étudiant) :

"Beaucoup de gens se jettent du pont à cause de la pression sociale, des problèmes personnels ou de la dépression. Au Mali, on parle peu de santé mentale, et pourtant certaines épreuves peuvent vraiment détruire quelqu’un. Mais quoi qu’il arrive, la vie reste sacrée. Se suicider n’est pas une solution. Il faut garder espoir, parce que même la souffrance finit un jour".

 Hamsétou El Hansar (étudiante en marketing) :

"C’est souvent à cause de la dépression. Au Mali, on ne prend pas assez au sérieux la souffrance mentale. Il y a des problèmes qui peuvent pousser quelqu’un à commettre l’irréparable, comme se jeter du troisième pont".

 Niélé (vendeuse ambulante) :

"C’est souvent un mélange de solitude, de désespoir, de pression sociale et financière. Et comme parler de sa douleur mentale est mal vu ici, beaucoup souffrent en silence jusqu’au drame".

 Sira Haïdara (étudiante en droit privé) :

"Trop de problèmes, trop de souffrance, et souvent aucun soutien. Certains vivent des choses graves comme le viol ou des pressions familiales, et finissent par croire que mourir est la seule issue".

Propos recueillis par Assitan Coulibaly

(stagiaire)

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