BenbereVerif : Frontière Mali – Guinée La transhumance entre le marteau et l’enclume

La décision guinéenne d’interdire la transhumance transfrontalière à partir du 2 mai 2025 plonge les éleveurs maliens dans l’incertitude, exacerbant des tensions déjà vives.

30 Juin 2025 - 13:24
30 Juin 2025 - 13:25
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BenbereVerif : Frontière Mali – Guinée La transhumance entre le marteau et l’enclume

Les conflits entre agriculteurs guinéens et éleveurs maliens, alimentés par les zébus voraces, remontent à plusieurs années. Ces tensions ont conduit le ministre guinéen Félix Lamah à suspendre la transhumance jusqu’en 2026. Les raisons officielles invoquent un manque d’espaces pastoraux, des impacts environnementaux et la nécessité de paix sociale. À cela s’ajoute un contexte climatique de sécheresse, qui a poussé les éleveurs maliens vers la Guinée pour y trouver des pâturages, comme l’a noté Lassine Sidibé, éleveur malien.

Seidina Ousmane Coulibaly, chef de la division des aménagements hydrauliques pastoraux à la Direction nationale des productions et industries animales (DNPIA), souligne : « La mobilité transfrontalière était une nécessité face au déficit des ressources pastorales dans le Sahel. » Pourtant, la Guinée y voit aussi une menace sécuritaire, évoquant un risque de transport d’armes et la préservation de sa race locale Méré.

Mamoudou Abdoulaye Diallo, président de l’Interprofession de la filière bétail et viande du Mali (IFBVM), déplore l’annonce tardive de cette interdiction : « Vers fin janvier, alors que les animaux étaient déjà à la frontière, la Guinée a rompu unilatéralement l’accord de 2022. » Cette rupture brutale a surpris les éleveurs positionnés selon les couloirs définis, provoquant un refoulement chaotique. Pire, un message audio prétendant un lien entre transhumants et « terroristes », qualifié de montage par l’éleveur, a précipité la décision guinéenne, alimentant des suspicions de manipulations locales, notamment à Yanfolila.

Vers des solutions

Avec un cheptel estimé à plus de 14 millions de bovins et 80 % de la population malienne qui en dépendent (selon le Rapport annuel DNPIA 2024), la transhumance permet d’exploiter les complémentarités écologiques entre les zones semi-arides du nord malien et les pâturages humides du sud, notamment en Guinée et en Côte d’Ivoire.

Face à cette crise, le Mali a réagi. Vingt forages et espaces pastoraux ont été aménagés près de la frontière, avec sept points d’eau déjà réalisés à Bougouni. Le gouvernement a également distribué 900 tonnes d’aliments pour bétail. Un dialogue bilatéral, marqué par la mission du ministre Youba Ba à Conakry (6-8 avril 2025), a permis un report au 2 mai, avec une rencontre prévue fin avril à Bamako pour réviser le protocole d’accord. À long terme, des couloirs sécurisés et un recensement des 2 millions de têtes en Guinée sont envisagés.

Lassine Sidibé, éleveur, propose une vision régionale : « Plutôt que des négociations bilatérales, le Mali devrait s’appuyer sur la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour un cadre juridico-économique. » Il plaide pour des zones pastorales communes et une intensification locale avec des bassins d’eau artificiels, tout en intégrant la résilience climatique. Coulibaly ajoute : « La sécurisation des zones pastorales et l’amélioration des ressources sont des défis majeurs. »

 L’avenir incertain de la transhumance

 Cependant, Mamoudou Abdoulaye Diallo alerte : « Si 7 millions d’animaux sont en Côte d’Ivoire, l’élevage malien est en danger. » Les conflits fonciers, exacerbés par une application laxiste de la charte pastorale, compliquent la sédentarisation, obligeant les troupeaux à migrer vers le Libéria ou la Sierra Leone, poursuit-il.

La transhumance, décrite comme un « planning alimentaire cyclique » par Diallo, reste indispensable face aux maladies des zones marécageuses et à l’insécurité au centre du Mali. Pourtant, les tensions avec les chasseurs guinéens, qui tirent sur le bétail, et les pressions foncières menacent cette activité. Lassine Sidibé avertit : « Sans répartition équitable des terres et aménagements pastoraux, le Mali risque de devenir importateur de viande. » Coulibaly insiste sur le besoin d’une gouvernance pastorale renforcée pour éviter les taxes intempestives et les conflits.

Alors que le cheptel malien s’éparpille à l’étranger, l’initiative présidentielle de stabilisation, saluée par Mamoudou Abdoulaye Diallo, offre un espoir. Créer des zones tampons sécurisées avec des points d’eau pourrait retenir les troupeaux. Mais sans action concertée, diplomatique et structurelle, le Mali pourrait perdre son statut de puissance pastorale ouest-africaine. L’heure est à une mobilisation nationale et régionale pour préserver cet héritage.

Par Oumar Sankaré

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