Franc CFA : stabilité monétaire ou frein au développement ?
Le débat autour du franc CFA ne cesse de ressurgir, entre défenseurs d’une stabilité monétaire héritée et partisans d’une rupture jugée salutaire pour la souveraineté africaine.

En réalité, plus de soixante-dix ans après sa création, le FCFA apparaît comme l’un des derniers symboles vivants de la tutelle économique coloniale. Peut-on sérieusement envisager le développement industriel et technologique de l’Afrique avec une monnaie qui ne lui appartient pas pleinement ?
Un système monétaire hérité et verrouillé
Créé en 1945 par la France, le franc CFA a depuis été « africanisé » dans ses appellations – sans jamais l’être dans sa gouvernance. En Afrique de l’Ouest comme en Afrique centrale, il reste arrimé à l’euro par une parité fixe, garanti par le Trésor français. Ce mécanisme oblige encore les pays africains à déposer 50 % de leurs réserves de change auprès de la Banque de France, en échange d’une « garantie de convertibilité » dont on peut interroger l’utilité réelle.
Dans les faits, cette structure fige les économies africaines dans une logique d’exportation de matières premières non transformées et prive les banques centrales de toute marge de manœuvre autonome. Or, sans maîtrise de sa politique monétaire, comment financer massivement l’éducation, l’agriculture, l’industrialisation ou encore la transition énergétique ?
Une stabilité monétaire qui coûte cher
Les défenseurs du franc CFA (souvent issus de cercles institutionnels ou d’intérêts extérieurs) vantent sa stabilité, son faible taux d’inflation, et sa capacité à attirer les investisseurs. Mais cette stabilité s’est construite au prix d’un sous-investissement chronique dans les secteurs productifs. Les taux d’intérêt appliqués aux PME sont souvent supérieurs à 10 %, rendant difficile tout essor industriel. Quant aux investissements étrangers, ils restent massivement orientés vers les secteurs extractifs, sans grande valeur ajoutée locale.
Dans les pays du FCFA, l’industrialisation reste marginale : moins de 10 % du PIB dans la plupart des cas. L’emploi formel y est rare, le secteur informel omniprésent, et les jeunes, faute d’opportunités, continuent de migrer. Le FCFA n’est pas la cause unique de ces maux, mais il constitue un verrou structurel majeur.
Le silence complice des institutions de Bretton Woods
Ce qui étonne, voire scandalise, dans ce débat monétaire, c’est le silence prolongé de la Banque mondiale et du FMI. Depuis des décennies, ces institutions interviennent activement dans les politiques macroéconomiques des pays africains, recommandent des ajustements, imposent des critères de convergence, prêchent la libéralisation et la compétitivité… mais elles n’ont presque jamais remis en question l’existence d’une monnaie coloniale dans des pays officiellement indépendants.
Pire, certaines de leurs analyses ont parfois conforté le statu quo en insistant sur la stabilité apparente du FCFA, sans jamais interroger son caractère anachronique, son absence de gouvernance démocratique ou son incompatibilité avec les ambitions de transformation structurelle.
Ce silence est d’autant plus incompréhensible que ces mêmes institutions appellent à une meilleure mobilisation des ressources internes, à l’inclusion financière ou à l’investissement productif : toutes choses rendues plus difficiles par la rareté du crédit et l’inflexibilité monétaire. Il est temps qu’elles reconnaissent leur responsabilité dans le maintien de cette anomalie.
Face à ce constat, deux voies s’offrent aujourd’hui aux pays africains – en particulier ceux de l’UEMOA et de l’AES :
Option 1 : Une réforme concertée et
accélérée au sein de l’UEMOA
Les pays membres de l’UEMOA pourraient s’accorder sur une feuille de route ambitieuse mais réaliste, avec un calendrier précis pour :
•Supprimer l’obligation de dépôt des réserves à la Banque de France ;
•Instaurer une parité flexible ou ajustable avec l’euro (au lieu du taux fixe actuel) ;
•Réformer la gouvernance des banques centrales (BCEAO) pour garantir 100 % de souveraineté africaine ;
•Préparer une monnaie ou un mécanisme régional de transition avec la CEDEAO (ECO réaliste).
Avantages :
•Maintien d’une zone monétaire intégrée avec 8 pays ;
•Moins de risques de perturbations financières à court terme ;
•Transition diplomatique plus fluide, rassurante pour les partenaires.
Inconvénients :
•Les blocages internes (inertie institutionnelle, pressions extérieures) peuvent ralentir voire empêcher la réforme.
•Dépendance persistante à la BCE et à la France si les réformes sont superficielles ou diluées.
Option 2 : Une sortie unilatérale et souveraine de l’AES
Le Mali, le Burkina Faso et le Niger, regroupés dans l’AES, peuvent décider de créer leur propre monnaie, fondée sur les besoins réels de leurs économies, et gérée par une banque centrale du Sahel. Ce choix serait cohérent avec leur ambition de souveraineté politique, économique et militaire.
Avantages :
•Pleine souveraineté monétaire et budgétaire ;
•Possibilité d’adosser la monnaie à un panier de devises, à l’or, au lithium ou à d’autres ressources stratégiques ;
•Accélération de l’intégration économique et politique de l’AES ;
•Instrument puissant pour financer l’agriculture, l’industrialisation et l’autosuffisance.
Inconvénients :
•Nécessite une préparation technique rigoureuse (système de paiement, convertibilité, gestion des réserves) ;
•Risque de volatilité monétaire au départ ;
•Besoin d’instaurer rapidement la confiance interne et externe vis-à-vis de la nouvelle monnaie.
Dans un cas comme dans l’autre, le statu quo est la pire des options. L’inertie monétaire coûte chaque jour des emplois, des investissements productifs, des opportunités d’innovation et de justice sociale. Le changement est nécessaire. Il doit être porté avec intelligence, méthode, coopération régionale et transparence.
D’autres pays africains (comme le Ghana, le Rwanda ou l’Éthiopie) qui disposent de monnaies souveraines, ont pu mener des politiques adaptées à leur contexte, stimuler leur production nationale et financer des secteurs prioritaires. L’Afrique francophone ne peut pas rester en dehors de cette dynamique.
Sortir du FCFA, c’est aussi envoyer un message clair : celui d’une Afrique adulte, consciente de ses défis, et déterminée à écrire elle-même son destin monétaire, économique et politique.
Le temps est venu de rompre avec l’illusion d’un confort monétaire sous tutelle pour bâtir un futur fondé sur la souveraineté, la solidarité régionale et l’intelligence stratégique.
Par Harouna Niang, ancien Ministre de l’Industrie, du Commerce et de la Promotion des Investissements du Mali
LE FRANC CFA A L’EPREUVE DU TEMPS : L’AES et le défi de la souveraineté monétaire
Malgré le fait que les sceptiques et détracteurs du nouvel ensemble sous-régional jouent aux cassandres, l’AES n’est pas loin de sonner le glas de cette monnaie de servitude dans ses états membres.
Faute d’accord sur la présidence tournante, qui revenait de droit au Burkina Faso, conformément aux textes statutaires, les ministres des Finances des pays de l’AES, ulcérés, ont boycotté les travaux de la session du Conseil des ministres de l’UEMOA.
L’opinion ouest-africaine de la zone franc a appris sans grande surprise pour sa composante avisée, ce qui s’est passé le 11 juillet dernier à Lomé, au cours de la 2è session ordinaire annuelle du Conseil des ministres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Un déni de droit à l’égard du Burkina Faso suite à l’absence de consensus sur la désignation de ce pays pour assurer la présidence tournante du Conseil, conformément aux dispositions du Traité de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA).
En effet, conformément à l’article 11 du Traité de l’UMOA, la présidence du Conseil des ministres est assurée, à tour de rôle, par l’un des ministres chargés des Finances des Etats-membres, pour un mandat de deux ans. Après le Bénin, selon l’ordre alphabétique, il échoit au Burkina Faso de prendre le relais. Coup de théâtre, c’était sans compter le véto des présidents, ‘’démocratiquement élus ‘’. Ceux-ci redoutent la sortie inéluctable des pays de l’AES du franc CFA et les conséquences ultérieures à gérer.
Les prétextes invoqués : insécurité, relations ultra tendues avec la France. L’utilisation de cette monnaie ‘’nazie ‘’ ressemble aux jongleries d’une arène de cirque (pendant la seconde guerre mondiale l’Allemagne a appliqué le même système monétaire à la France que celle appliquée par cette dernière aux Africains depuis plus de 60 ans).
Les pays où le CFA a cours sont floués : de 1945 à 1959, la dénomination de cette monnaie était : le Franc des Colonies françaises d’Afrique (CFA). Avec l’avènement des indépendances factices, en 1960, la dénomination a été édulcorée : le Franc de la Communauté financière d’Afrique (CFA). Du pareil au même.
Comme s’ils avaient pressenti l’incident du 11 juillet 2025, les chefs d’Etat de l’AES, ont porté sur les fonts baptismaux une banque confédérale d’investissement et de développement, dotée d’un capital de 500 milliards de FCFA. Parallèlement, en filigrane, verra le jour un fonds souverain de stabilisation !
En dépit des initiatives entreprises pour baliser le terrain de son départ du FCFA, certains sceptiques et détracteurs du nouvel ensemble sous-régional jouent aux cassandres. Fustigeant la perspective de la création de la nouvelle monnaie, ils exhibent l’épouvantail d’un plongeon dans l’inconnu, d’un risque d’instabilité, d’un isolement économique, d’une inflation. A les écouter, c’est renoncer aux taux bonifiés du marché régional, aux transferts massifs des diasporas depuis Abidjan et Dakar.
La face cachée de cette histoire de FCFA est à rechercher au niveau de la hiérarchie de la Banque Centrale Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Dont plusieurs agents sont les thuriféraires du maintien du FCFA. Et ne scieraient pour rien au monde la branche sur laquelle ils sont assis.
La France a à cœur de maintenir les 14 Etats où le CFA a cours dans l’esclavage, malgré l’inéluctabilité du retrait des pays de l’AES de la zone franc.
Selon Nicolas Agbohou, professeur associé à l’Institut Cheick Anta Diop de l’Université du Gabon, enseignant les sciences techniques économiques en France, auteur de l’essai économique ‘’ Le franc CFA et l’Euro contre l’Afrique ‘’, le mouvement de l’AES est irréversible. Ça sonne le glas du crépuscule de cette monnaie de servitude. Malheureusement le citoyen pusillanime n’est pas au parfum de la réalité historique du CFA : l’Algérie a quitté le franc CFA en créant le dinar algérien, idem pour le Vietnam qui a créé le dong, idem pour la Mauritanie qui a créé l’Ouguiya. Ces pays ne se sont pourtant pas effondrés après leur départ du CFA. Alors, l’AES aussi va survivre à l’instar des pays sus- cités, malgré les embuches érigées.
Mohamed Koné
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