Gilles Yabi : « Marginaliser la junte sans affaiblir l'armée malienne »

23 Mai 2012 - 14:09
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[caption id="attachment_68497" align="alignleft" width="350" caption="Gilles Yabi."][/caption] Dans une interview consacrée à RFI mercredi 23 mai 2012, le directeur pour l’Afrique de l’Ouest de l’International Crisis Group explique comment rejet collectif - dont celui de l'armée et de certains acteurs - de l'élite politique bamakoise, a favorisé l'accès des manifestants à l'intérieur du bâtiment présidentiel.
RFI : Qui peut être derrière les manifestants qui ont agressé le président par intérim ? Gilles Yabi : Ce qu’il faut observer, c’est que les manifestants ont eu accès directement au président intérimaire, Dioncounda Traoré, ont pu l’agresser alors même que des militaires étaient présents dans l’enceinte présidentielle. Cela traduit certainement une défiance d’une partie de l’armée à l’égard du pouvoir civil désormais incarné par le président intérimaire. Au-delà de cet aspect, il faut également souligner le rôle néfaste qui est joué par un certain nombre d’acteurs politiques, assez marginaux, qui se sont alignés sur les positions de la junte depuis le début et qui incitent une partie de la population malienne à être hostile à Dioncounda Traoré, ainsi qu’aux efforts diplomatiques de la Cédéao. RFI : Peut-on faire un rapprochement avec le 29 mars dernier, quand des manifestants ont envahi la piste de l’aéroport de Bamako pour empêcher Alassane Ouattara d’y atterrir ? G.Y. : On peut sans doute faire le rapprochement parce que le lien, c’est le côté orchestré de ces manifestations. Beaucoup de Maliens sont hostiles à Dioncounda Traoré parce qu’il y a une sorte de rejet collectif de l’élite politique bamakoise de ces dernières années. Mais il y a une différence entre être hostile, et aller manifester sur le tarmac de l’aéroport ou dans l’enceinte de la présidence. Dans les deux cas, ce sont des espaces auxquels on n’a pas accès si on n’a pas une sorte de bienveillance et d’encouragement de la part des forces de sécurité. RFI : Le mot d’ordre des putschistes n’est pas seulement « non aux élites », c’est également « non au diktat de la Cédéao ». Ce discours nationaliste peut-il prendre ? G.Y. : Ce discours nationaliste prend dans une certaine mesure. Les dérives de ces dernières années, le laxisme des autorités politiques et militaires sous le régime ATT (Amadou Toumani Touré, le président déchu, ndlr) – et même sous le régime précédent - parce que c’est réellement toute l’élite qui est aujourd’hui rejetée, y compris ceux qui ont exercé le pouvoir depuis 1992. Malheureusement, cet exercice du pouvoir et les dérives de ces dernières années ont crée les conditions d’un rejet global de la classe politique. C’est extrêmement dangereux, parce que les leaders de la junte et d’autres acteurs politiques accusent aujourd’hui tous les autres de corruption. Le capitaine Sanogo, ou des hommes politiques comme Oumar Mariko, n’ont pas été associés à l’exercice du pouvoir, et leur permet d’affirmer qu’ils sont, eux, totalement incorruptibles et qu’ils sont les seuls au Mali à vouloir l’intégrité territoriale et à vouloir défendre l’intérêt général. RFI : Ce discours populiste vous fait-il penser à d’autres mouvements populistes d’Afrique de l’Ouest ces dernières années ? G.Y. : On pense forcément à la situation en Guinée Conakry il y a quelques années, à l’époque du capitaine Dadis Camara, là aussi on pouvait observer une opinion publique finalement assez divisée. Il est important de reconnaître les dérives, la corruption et le laxisme, ces maux rongent les régimes politiques dans la région, qu’ils soient démocratiques ou non. Ces maux créent les conditions d’un rejet global de l’élite politique et malheureusement, il n’y a pas vraiment d’alternative. Donc, une partie de la population a tendance à croire à la possibilité d’un sauveur, qui viendrait notamment de l’armée. RFI : Aujourd’hui la Cédéao condamne. Elle annonce une enquête pour identifier les auteurs et les commanditaires de l’agression. Doit-elle faire plus ? G.Y. : Elle doit déjà surveiller de plus en plus les médias, les radios qui ont une grande importance. RFI : Les radios FM privées qui insultent à longueur de journée les instances de transition à Bamako ? G.Y. : Oui, absolument. Il est important que la Cédéao prévienne ceux qui permettent cette expression brutale, que des sanctions pourraient également être envisagées contre eux. Mais, il y a aussi une nécessité pour la Cédéao de communiquer davantage et de gagner la confiance de l’opinion publique. RFI : Le déploiement d’une force militaire à Bamako, est-ce une solution ? G.Y. : Il faut veiller à la fois à la marginalisation de la junte, mais il ne faut pas accepter non plus un affaiblissement de l’armée malienne. Il est important que l’Etat malien dans sa composante civile et militaire soit reconstruit. Donc le mandat d’une éventuelle mission militaire de la Cédéao ne serait pas nécessairement une sorte de mandat d’intervention offensive contre des militaires maliens ou contre des groupes armés au Mali. Ca pourrait être un mandat de soutien à la remise sur pied d’une structure de commandement claire et à la protection des institutions civiles. RFI : Longtemps, le putschiste Amadou Sanogo a voulu devenir président de la transition. Pour lui faire abandonner ce projet, la Cédéao lui a accordé dimanche le statut d’ancien président : la Cédéao est-elle allée trop loin dans ses concessions ? G.Y. : Au fond, ces concessions ont commencé avec l’accord-cadre puisque cette accord-cadre ne prévoyait pas la dissolution de la junte. A partir de ce moment là, le capitaine Sanogo a compris qu’il allait continuer à jouer un rôle important. Il y a clairement là un précédent qui est malheureux. Evidemment, si on peut être chef d’Etat pendant quelques jours et avoir le statut d’ancien chef d’Etat avec les privilèges qui sont associés à la fonction, cela peut être un fâcheux précédent pour la région, et donner des idées aux autres. Mais en même temps, une partie de l’armée malienne, de fait, soutient le capitaine Sanogo. C’est une réalité.   Par Christophe Boisbouvier RFI  /  mercredi 23 mai 2012

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