Urgences hospitalières au Mali : Quand sauver une vie peut conduire en prison

Dans les services d’urgence des hôpitaux maliens, un paradoxe met en péril des vies : des médecins refusent de soigner certaines victimes sans réquisition de la police. Ce qui, en théorie, protège le personnel médical de poursuites judiciaires, pourrait aussi constituer une non-assistance à personne en danger.

20 Mai 2025 - 01:29
19 Mai 2025 - 17:27
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Urgences hospitalières au Mali : Quand sauver une vie peut conduire en prison

Entre injonctions contradictoires, peur d’être accusé et devoir de soigner, l’hôpital devient le théâtre d’un dangereux flou juridique.

Une nuit de février, un jeune homme blessé par balle est amené en urgence au CHU Gabriel Touré. Sanglant, inconscient, il est en train de perdre la vie. A l’accueil, les médecins hésitent : pas de réquisition de la police, pas de prise en charge.

Ce cas n’est pas isolé. Dans plusieurs établissements de santé du pays, les médecins se retrouvent régulièrement face à un dilemme : intervenir sans attendre les forces de l’ordre, au risque d’être accusés de « complicité », ou attendre la procédure, au risque de perdre le patient.

Un urgentiste sous anonymat confirme : « Nous avons vu des collègues convoqués, certains arrêtés après avoir soigné des blessés sans autorisation. La justice soupçonne parfois les médecins d’avoir couvert un crime ou d’avoir détruit des preuves ».

C’est cette crainte qui pousse les soignants à se protéger avant d’agir. Pourtant, en matière de droit, la situation est plus complexe.

Des obligations légales contradictoires

Maître G.T, avocat, explique : « La loi pénale malienne prévoit la réquisition dans certains cas de crimes. Mais en parallèle, le Code  pénal  punit toute personne, y compris les professionnels de santé, pour non-assistance à personne en danger. On est face à deux injonctions contradictoires ».

Un agent du ministère de la Santé, interrogé, reconnaît le problème mais renvoie la balle à la Justice. « Les médecins doivent être protégés quand ils agissent pour sauver des vies. Il faut des textes clairs », affirme t-il.

De son côté, la Direction nationale de la Santé n’a pas souhaité répondre officiellement à nos questions.

La situation met les médecins dans une posture impossible. Un médecin confie : « On nous demande de sauver des vies, mais on peut se retrouver en prison pour avoir bien fait notre travail. Ce n’est plus tenable ».

Des syndicats de médecins ont plusieurs fois alerté les autorités. En vain. Aucune réforme, pour l’instant, n’a clarifié les responsabilités des soignants en cas d’urgence liée à des faits criminels.

Pour les familles des victimes, l’incompréhension domine. Oumou K, sœur d’un jeune homme agressé s’interroge « Est-ce que c’est à nous d’aller chercher la police pendant que notre frère saigne. Ce système est inhumain ? ».

Les hôpitaux ne devraient pas être des zones d’arbitrage juridique, mais des lieux où la vie est toujours prioritaire. Il est urgent que les autorités maliennes revoient les textes réglementant les interventions médicales d'urgence afin d’éviter que l’hésitation ou la peur n’ôte des vies qui auraient pu être sauvées. En attendant, les médecins continuent de marcher sur une ligne fine entre leur serment d’Hippocrate et la menace d’un mandat d’arrêt.

Le moins que l’on puisse dire, est qu’au Mali, sauver une vie peut conduire  au tribunal. Face à cette situation, une question s’impose : combien faudra-t-il de morts pour que l’on réforme un système qui criminalise ceux qui tentent de sauver ?

Mohamed Keita

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