Sikasso : Ces femmes au foyer qui veulent reprendre le chemin de l’école
La plupart regrettent d'avoir abandonné les études après le mariage. Si certaines ont le désir de reprendre le chemin de l'école, c'est trop tard pour d'autres

«Il y a neuf ans, je faisais le baccalauréat et je n’avais qu’un seul et unique rêve : devenir douanière à la fin de mes études. Hélas, le mariage a freiné toutes mes ambitions professionnelles. Aujourd’hui, je ne fais rien, je suis obligée de subvenir aux besoins de mes quatre enfants, car mon mari nous a presque abandonnés», confie désespérément Mme Traoré Fatoumata Djiré que nous avons rencontrée au quartier Bougoula-ville de Sikasso. Comme elle, bon nombre de jeunes dames vivent dans la même situation à Sikasso.
Le constat est que certaines de ces femmes se sont laissées emporter par le désir ardent du mariage. D’autres se sont mariées tout en croyant qu’elles pourraient gérer le foyer conjugal et les études. D’autres encore n’ont pas résisté aux belles paroles, aux promesses de leurs conjoints. «J’ai abandonné les bancs étant en Licence à la Faculté des lettres, des langues et des sciences du langage (FLSL) filière anglais-unilingue en 2013. Je voulais coûte que coûte me marier. Je n’imaginais pas une seule seconde que mon mari ou encore sa famille allait s’opposer à mes études. À peine trois mois de mariage, mon mari (chauffeur de profession), soutenu par sa famille, a commencé à se plaindre. Au dernier moment, il s’est opposé de façon catégorique. Pour lui, la place de la femme est à la maison. Elle ne doit pas sortir soi-disant qu’elle va étudier. Elle doit s’occuper de la maison (mari, enfants, tâches domestiques)», témoigne-t-elle, le visage couvert de désespoir. Elle affirme qu’elle ne peut que s’en remettre au Tout Puissant, car elle estime que c’est le destin. Sinon, elle aurait voulu être interprète (anglais-français). Le cas de Nématou Koné est touchant. Juste après avoir décroché son baccalauréat en 2023, elle a enfilé la robe de mariée en fin 2024. «Avant mon mariage, je m’étais inscrite à la Faculté des sciences économiques et de gestion (FSEG) de Bamako. J’ai même fait l’examen de la 1ère année, j’ai obtenu une bourse entière, mais après mon mariage, rien n’allait. Mes tâches domestiques sont devenues énormes, car la famille est grande. Du coup, je n’ai plus le temps d’étudier», confie-t-elle.
En effet, Nématou Koné voulait intégrer l’Armée mais son mari s’y est opposé. «Il ne veut pas que je devienne militaire», dit-elle. Pour l’heure, la pauvre dame est perplexe. Ce qui est sûr, elle ne compte pas rester les bras croisés. «Je dois faire quelque chose. Je ne veux pas foutre en l’air toutes ces années d’études», lance-t-elle.
Mme Diarra Rokiatou Diamouténé regrette aussi d’avoir abandonné les études. «Je vivrai avec mon regret jusqu’à la fin du temps. Je n’aurai jamais dû abandonner l’Institut de formation des maîtres (IFM) à cause du mariage», déplore celle qui a pris l’initiative d’abandonner l’école en classe de 2è année (généraliste). «J’étais aveuglée par l’amour. J’avais la joie de porter la robe blanche, de posséder un mari, de vivre dans mon foyer conjugal… Bref, j’étais tout simplement naïve. Mon mari était un grand commerçant dans le temps. Il a mis la pression pour me pousser à abandonner les études afin de mieux gérer le foyer. Il avait en échange promis de prendre bien soins de moi et de m’offrir une somme d’argent à chaque fin du mois. Avec ces promesses, j’ai fini par céder», affirme-t-elle.
Au début, tout se passait bien pour Mme Diarra Rokiatou Diamouténé jusqu’à ce que son époux soit à cours d’argent. «Mon mari n’arrive plus à joindre les deux bouts. Souvent, c’est sa mère qui nous envoie de quoi manger. Quand je réfléchis, je ne fais que pleurer. Je compte me renseigner si toute fois, je peux encore reprendre les études à l’IFM. Sinon aujourd’hui, ça ne va pas du tout dans mon foyer», confie-t-elle, l’air désemparée.
Mme Diarra Fatoumata Traoré vit la même situation. La communicatrice de formation est actuellement ménagère. «Je suis diplômée de l’université de Ségou, filière communication des organisations», explique-t-elle. Elle soutient qu’elle n’a plus de temps à consacrer au stage. «En 2024, j’avais entamé un stage dans une agence de presse dans la région, mais cela s’est terminé en queue de poisson. Mon mari (enseignant) et sa famille se sont catégoriquement opposés à ce choix. Ils ont tout fait pour me décourager. Ils veulent que je reste à la maison et que je fasse du petit commerce», témoigne-t-elle. Elle dira qu’elle est l’aînée de sa fratrie. Ainsi, elle doit aider ses parents sur le plan financier. Face à la situation, elle compte sensibiliser la famille pour un moment. Le cas échéant, elle n’écarte pas la possibilité de se révolter au risque de se divorcer.
Faire la lessive ou encore la vaisselle- Mme Coulibaly Batogoma Coulibaly a abandonné l’école en classe de 5è année. Tout comme les précédentes interlocutrices, elle regrette amèrement d’avoir pris cette initiative. «Mes conditions de vie n’étaient pas favorables. Le décès précoce de ma mère m’a trop affectée. Je n’avais pas d’espoir ni de bon conseiller dans la maison. Alors, j’ai abandonné les études. J’aurai dû continuer. Actuellement, je suis obligée de faire la lessive ou encore la vaisselle pour les gens», raconte-t-elle.
Quant à Mme Diallo Aïssata Diarra, elle a abandonné les études par paresse. «En réalité, mon mari me soutenait, il m’accompagnait à l’école, mais avec la grossesse, j’ai abandonné. Je n’ai plus le courage de continuer», avoue-t-elle. Dr Moussa Coulibaly enseigne la sociologie à l’École normale supérieure de Bamako (ENSup). D’après lui, cette pratique s’ajoute désormais aux difficultés d’intégration des jeunes femmes nouvellement mariées dans les belles familles. Il estime que ce sont des détails à gérer avant le mariage. «Auparavant, dans notre société, le rôle de la femme était un mari, le foyer et des enfants, mais maintenant avec le taux de scolarisation des filles en constante évolution, on enregistre beaucoup de femmes diplômées», explique le sociologue. Selon lui, les femmes qui se trouvent dans de telles situations doivent s’armer de courage et de patience en créant les conditions d’un dialogue fécond. Elles doivent beaucoup échanger avec leurs maris pour envisager des alternatives, s’organiser par rapport au temps et éviter de se retrouver entre le marteau et l’enclume (l’incompréhension du mari et les représailles de la belle-famille).
Le sociologue dira que pour éviter ces désagréments ou pièges, avant de se marier les couples doivent discuter du problème et prévoir des mesures de gestion du temps. «Il faut surtout sensibiliser la belle-famille des enjeux financiers grandissants. C’est après les études qu’on a un travail. Si ces jeunes dames arrivent à terminer leurs études, elles pourront contribuer à leur propre stabilité, mais aussi à celle de la famille», précise-t-il. Pour Dr Moussa Coulibaly, il est important que les jeunes femmes mariées poursuivent leurs études. Pour ce faire, les belles familles doivent, dans un élan de solidarité, créer les conditions pour qu’elles terminent les études.
Mariam DIABATE / AMAP - Sikasso
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