Éthique et déontologie à l’ère des réseaux sociaux au Mali : Où placer la ligne rouge au Mali ?
Les réseaux sociaux ont bouleversé la manière de communiquer, d’informer et de débattre au Mali. Facebook, WhatsApp, Tik Tok ou X (ex-twitter) sont devenus les places publiques où se façonnent les opinions et se construisent parfois les mobilisations sociales.

Mais cette liberté d’expression sans précédent s’accompagne de dérives : propagation de fausses informations, discours de haine, atteintes à la vie privée, campagnes de dénigrement et de manipulations. Dès lors, la question se pose : où placer la ligne rouge entre liberté d’expression et responsabilité éthique ?
Massiré Diop, Rédacteur en chef de Journal du Mali, « il existe encore plusieurs obstacles qui fragilisent la confiance entre ces deux acteurs. Le premier, selon mon expérience, reste la précarité économique des médias, qui les rend vulnérables aux pressions politiques ou aux influences financières. Beaucoup de rédactions dépendent de ressources extérieures, ce qui peut parfois limiter leur liberté éditoriale. De l’autre côté, certaines organisations de la société civile peinent à fournir des informations vérifiables ou accessibles, ce qui complique leur traitement journalistique. À cela, s’ajoutent les pressions politiques, la censure, voire les menaces sécuritaires qui poussent certains journalistes à l’autocensure, notamment dans les zones de conflit. Enfin, l’accès difficile à certaines informations publiques empêchant souvent une couverture approfondie des sujets de gouvernance. Pour surmonter ces obstacles, il me semble indispensable de créer des chartes de collaboration, d’assurer une meilleure formation des acteurs de la société civile sur la communication publique et de renforcer l’indépendance économique des médias ».
Pour Moussa Lin Diallo, Président de Doniblog, la communauté des blogueurs du Mali, l’usage des réseaux sociaux pose de véritables défis, notamment en matière de lutte contre la désinformation, les rumeurs et la protection de la vie privée, sans oublier le respect de la dignité humaine. « Pour ma part tout cela passe d'abord par l'auto censure et ce que nous appelons le prebunking, qui consiste à anticiper les dérives à travers l’éducation et la formation des citoyens. Cela permet de préserver la liberté d’expression tout en soulignant la responsabilité des utilisateurs ».
Cette dynamique fragilise non seulement la cohésion sociale, mais elle menace aussi la crédibilité des médias traditionnels, régulièrement accusés de lenteur face à la viralité des publications en ligne.
La Constitution malienne garantit la liberté d’opinion et d’expression. En ce sens, les réseaux sociaux constituent un prolongement naturel de ce droit fondamental. Pour beaucoup de citoyens, ils représentent le seul espace d’expression libre, échappant parfois au contrôle des pouvoirs publics. Toute régulation excessive ou arbitraire risquerait donc d’être perçue comme une censure politique.
La ligne rouge ne doit donc pas être tracée contre la liberté, mais contre les abus qui portent atteinte aux droits d’autrui.
Les professionnels de l’information, mais aussi les créateurs de contenus, doivent s’imposer des règles de déontologie : vérification des faits, respect de la dignité humaine, prudence dans la diffusion d’images violentes ou choquantes.
Chaque citoyen doit mesurer la portée de ses publications. Le simple partage d’un faux contenu peut avoir des conséquences dramatiques sur la réputation ou la sécurité d’une personne.
Le rôle de l’État n’est pas de censurer, mais de garantir à travers les régulateurs, un cadre protecteur. Les autorités doivent promouvoir la responsabilisation plutôt que la répression, en privilégiant l’éducation aux médias et la médiation sociale.
La « ligne rouge » devrait être les discours de haine fondés sur l’ethnie, la religion, le genre ou l’appartenance politique, la diffusion volontaire de fausses informations susceptibles de troubler l’ordre public, l’atteinte à la vie privée à travers le partage de données personnelles ou d’images intimes sans consentement ou encore l’incitation à la violence ou au terrorisme.
Ces abus justifient une régulation ferme, à condition qu’elle soit proportionnée, transparente et encadrée par la justice, pour éviter toute dérive autoritaire.
Massiré Diop, Rédacteur en chef de Journal du Mali pense qu’il faut accentuer la synergie entre les organes. « Dans plusieurs localités, des radios travaillent main dans la main avec des organisations pour vulgariser des textes de loi, expliquer des processus électoraux ou encore relayer des campagnes de sensibilisation. Dans le domaine de la gouvernance, il existe aussi une collaboration autour de la vulgarisation des rapports du Bureau du Vérificateur général ou de l’OCLEI, qui sont souvent utilisés comme base pour des programmes radiophoniques ou des débats publics. Ce travail commun a permis d’ouvrir l’accès à des informations qui, autrement, seraient restées confinées aux cercles institutionnels ».
A son avis, une autre synergie entre les journalistes et les organisations de la société civile, « va renforcer la confiance et créer des espaces de concertation réguliers. Journalistes et acteurs associatifs doivent pouvoir définir ensemble les priorités de plaidoyer et de traitement médiatique. À mon avis, il est aussi important que les OSC partagent des informations mieux structurées et plus facilement exploitables, car beaucoup de dossiers de plaidoyer restent trop techniques pour être transformés en contenu médiatique ».
Le Mali a adopté des lois sur la cybercriminalité (2019) et la protection des données personnelles (2013). Mais leur application reste limitée. Une réflexion nationale s’impose pour élaborer une charte malienne de l’éthique numérique, en impliquant les journalistes et associations professionnelles ; la société civile, les organisations de jeunesse, les juristes et les spécialistes du numérique
Niama Loua Bereté, Ingénieur d’État en Informatique et Juriste expert en Droit des TIC, pense qu’il faut beaucoup mettre l’accent sur « l’inclusion ».
Ce cadre local permettrait de tracer collectivement la ligne rouge, sans la déléguer uniquement à l’État ou aux géants du numérique.
À l’ère des réseaux sociaux, le Mali fait face à un défi inédit : concilier liberté d’expression, responsabilité éthique et protection des droits fondamentaux. La ligne rouge ne peut être tracée une fois pour toutes par décret ; elle doit résulter d’un consensus social et démocratique, où chaque acteur (citoyens, journalistes, influenceurs, pouvoirs publics) accepte sa part de responsabilité. C’est à ce prix que les réseaux sociaux pourront devenir des instruments de construction collective, et non des armes de destruction de la cohésion nationale.
Aminata Agaly Yattara
Ce reportage est publié avec le soutien de Journalistes pour les Droits Humains (JDH) au Mali et NED.
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