Gouvernance numérique au Mali : Vers un e-gouvernement ?
Le numérique est devenu un espace incontournable d’expression citoyenne, de mobilisation sociale et de transactions économiques.

Au Mali, comme ailleurs, les plateformes numériques (Facebook, WhatsApp, Tik Tok, X/Twitter) structurent désormais le débat public, mais elles posent également des défis en matière de protection des droits fondamentaux : liberté d’expression, protection des données personnelles, lutte contre la désinformation et respect de la vie privée et des droits humains. Dans ce contexte, la question centrale est de savoir quelles politiques publiques mettre en œuvre pour encadrer ces espaces sans porter atteinte aux libertés ?
Cependant, l’application de ces textes demeure limitée par des contraintes institutionnelles, des moyens financiers insuffisants et une faible sensibilisation du grand public du milieu urbain et rural. La régulation des grandes plateformes étrangères reste largement hors de portée des autorités nationales.
Abdoul Kader Ky, Ingénieur en développement et administration des réseaux informatiques. Directeur de l'économie numérique affirme que le Mali dispose d’un document de Politique nationale du développement de l'économie numérique, avec un plan d'action Mali numérique 2020. Ce document a été adopté en 2015 et approuvé en 2016. « Nous avons un plan quinquennal Mali numérique 2020, qui est en vigueur actuellement. Le nouveau document de politique nationale du développement de l'économie numérique a été validé en octobre 2024. Nous attendons son adoption. Le document de politique s'articule autour des axes majeurs qui sont : l'axe infrastructure ; le développement de contenu, ce qu'on appelle le contenu, donc les applications ou la partie digitalisation. Ensuite, nous avons le capital humain. Et l'axe réglementation. Et la confiance numérique ou tout simplement la sécurité des données ».
Les réseaux sociaux sont devenus des espaces privilégiés de débats politiques et de critique citoyenne. Le risque est double : d’une part, la prolifération de la désinformation, des discours haineux et des appels à la violence ; d’autre part, la tentation des autorités de recourir à des restrictions excessives ou à des coupures d’Internet.
Les données des utilisateurs maliens sont majoritairement stockées à l’étranger, échappant ainsi au contrôle de l’État. Le renforcement de l’APDP, à travers des moyens techniques et juridiques, apparaît comme une urgence.
Le Mali dépend fortement d’acteurs étrangers (Gafam, opérateurs internationaux) pour ses infrastructures et services numériques. Cette dépendance pose la question de la souveraineté et de la capacité de l’État à définir ses propres règles.
Pour Niama Loua Bereté, Ingénieur d’État en Informatique et Juriste expert en Droit des TIC, « un des axes de la gouvernance du secteur du numérique au Mali, est l’accès des usagers au service numérique, la promotion de la digitalisation de l’administration pour un meilleur accès des usagers au service public. Il faut aussi souligner que cette stratégie nationale a été beaucoup transformée avec l’annonce du président de la transition à Sikasso en juin 2024 et qui a lancé une digitalisation plus rapide des moyens de paiement de l’État ».
La gouvernance numérique ne peut se limiter à la régulation juridique. Elle suppose aussi une éducation citoyenne au numérique, afin que les usagers développent un esprit critique et sachent protéger leurs droits en ligne.
Adapter les lois existantes au nouveau contexte numérique, en s’inspirant des standards internationaux (DSA européen, directives de l’Union africaine), donner à l’APDP une réelle autonomie et des moyens d’action, notamment pour sanctionner les manquements des opérateurs et créer une autorité de coordination des régulateurs à l’image de l’Europe qui coordonne la CNIL, l’ARCOM et l’ARCEP, le Mali pourrait mettre en place un mécanisme interinstitutionnel associant l’APDP, l’Autorité de régulation des télécommunications (AMRTP) et d’autres acteurs concernés.
Comment parvenir à un e-gouvernement au Mali ? Les préalables posés par Abdoul Kader Ky sont nombreux : « un e-gouvernement aussi suppose une administration zéro-papiers. Lorsque nous aurons implémenté efficacement et entièrement cette dématérialisation que nous allons parler d'e-gouvernement et d'e-gouvernance. Les défis qui sont liés aujourd'hui à la réussite de cette transformation sont des défis structurels, dans la mesure où il nous faut aujourd'hui développer les infrastructures du nord au sud, faire un maillage territorial avec les équipements adéquats : que ce soit l'équipement de transmission en fibre optique, en faisceau hertzien ou un maillage satellitaire. Il nous faut déjà réussir l'accès universel, c'est-à-dire couvrir les zones déshéritées, les zones vierges, les zones blanches ou les zones défavorisées ».
Pour lui, il y a également le défi de la sécurisation. « Avec tous les actes de vandalisme que nous connaissons sur les réseaux de transmission. Donc, quand la zone est soumise à des aléas sécuritaires, c'est toujours des câbles coupés, des antennes saccagées. Nous avons très peu de compétences locales aujourd'hui. Il nous faut constituer un capital humain propice au développement de ces technologies-là, maîtriser le processus de conception, de déploiement et de maintenance de nos équipements et même des réparations de nos équipements et de nos applications pour que cette transformation dans une décennie, dans 20 ans, dans 30 ans, dans 50 ans soit une réalité », dit-il.
Il ajoute : « la stratégie nationale de cybersécurité, qui est en cours d'adoption, mettra l’accent sur la sensibilisation contre les mauvais usages des TIC, préviendra les méfaits ou mauvais usages de ces outils technologiques. Pour ce qui concerne l'aspect réglementation, nous savons que les textes réglementaires et législatifs, vont toujours avoir des insuffisances ».
Promouvoir la transparence et la responsabilité des plateformes en exigeant des grandes plateformes une meilleure modération des contenus en langues locales et la mise à disposition de mécanismes de recours accessibles aux utilisateurs maliens.
Garantir la liberté d’expression et prévenir les abus par l’adoption de procédures claires, proportionnées et encadrées par la justice pour tout retrait de contenus ou restriction d’accès, afin d’éviter les dérives autoritaires.
Investir dans l’éducation numérique pour intégrer la citoyenneté numérique dans les programmes scolaires, développer des campagnes de sensibilisation sur les fausses nouvelles ou informations et renforcer les capacités des journalistes et acteurs de la société civile.
Le Mali ne peut agir seul face à des géants numériques globaux. La solution passe par une coopération régionale, notamment dans le cadre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et de l’Union africaine, qui ont déjà initié des travaux sur la gouvernance numérique et la cybersécurité. Une stratégie concertée permettrait d’accroître le poids de l’Afrique dans les négociations internationales et de défendre une vision respectueuse des droits fondamentaux.
La gouvernance numérique au Mali se trouve à la croisée des chemins. D’un côté, l’explosion des usages des plateformes offre des opportunités inédites d’expression et de développement économique. De l’autre, elle expose les citoyens à de nouveaux risques. La clé réside dans une politique publique équilibrée, qui protège les droits fondamentaux sans freiner l’innovation, en plaçant les citoyens (et non les plateformes) au cœur de la régulation.
Aminata Agaly Yattara
Ce reportage est publié avec le soutien de Journalistes pour les Droits Humains (JDH) au Mali et NED.
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