Djiguiba Keïta aux obsèques du président du PARENA : "Tiébilé Dramé fut de ceux qui, au prix de leur jeunesse, de leur liberté ont forgé la conscience politique de générations entières"

Décédé le 12 août 2025 à Paris, en France, à l'âge de 70 ans, le président du Parena et l'ancien ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Tiébilé Dramé (9 juin 1955-12 août 2025) a été accompagné, vendredi 15 août, à sa dernière demeure, au cimetière de Faladié par une foule des grands jours.

23 Août 2025 - 01:01
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Djiguiba Keïta aux obsèques du président du PARENA : "Tiébilé Dramé fut de ceux qui, au prix de leur jeunesse, de leur liberté ont forgé la conscience politique de générations entières"

Auparavant, une cérémonie d'hommage a été organisée sur le terrain de Magnambougou qui a vu la présence de nombreuses personnalités dont l'ancien président de la République, Alpha Oumar Konaré, d'anciens Premiers ministres et ministres, d'hommes politiques. Djiguiba Kéïta dit PPR a eu l'insigne honneur de lire l'oraison funèbre, au nom de sa famille politique que nous publions en intégralité.   

Quelle vie active !  Quelle vie utile en un si court laps de temps !

Mais… quelle épreuve pour moi de me plier à ce devoir auquel je ne me suis jamais préparé ! Comment parler d'un homme-pays, d'un homme-continent, d'un homme universel !  Que dire après tout ce qui a été dit par tant de  voix autorisées ?  L'historien qu'il est, ayant étudié El hadj Omar, ne nous en voudra pas de séquencer sa vie.

L'élève, l'étudiant engagé

Pour parler du plus jeune prisonnier politique du Mali en 1977, à 22 ans, je commencerai par ce témoignage du jeune Ousmane Touré de la jeune génération

"Il partageait la même cellule que mon père au Camp Para, arrêtés tous deux pour avoir bravé les interdictions et porté le cercueil de Modibo Kéita. Mon père en a toujours gardé l'image d'un homme coriace, tenace, inébranlable qui ne savait pas ce que voulait dire la peur!

Le baobab de la résistance à la dictature militaire au Mali, Tiébilé Dramé, l'homme qui, très jeune, a goûté à toutes les prisons et subi les tortures les plus atroces dans les geôles du régime CMLN-UDPM, a tiré sa révérence. En lui, c'est une mémoire vivante, un pan de l'histoire politique contemporaine du Mali qui s'éteint. Son départ nous rappelle la fragilité des voix courageuses qui ont osé s'élever contre la tyrannie, dans les heures les plus sombres de notre pays.

Rendre un vibrant hommage à ce héros de la lutte estudiantine sous les dictatures militaires, notamment celle de Moussa Traoré, n'est pas seulement un devoir de mémoire. C'est un sacerdoce. Car Tiébilé Dramé fut de ceux qui, au prix de leur jeunesse, de leur liberté, ont forgé la conscience politique de générations entières.

Au sein de l'Union nationale des élèves et étudiants du Mali (Uneem) ancêtre  de l'AEEM, il a incarné l'engagement sans compromission, la parole libre et le refus de l'arbitraire.

Elu secrétaire général du bureau de coordination de l'Uneem  le 27 décembre 1978 -  avec un certain PPR élu secrétaire au sport, le martyr Abdoul  Karim dit Cabral, élu secrétaire à la communication et qui va lui succéder le 17 février 1980 avant d'être assassiné un mois plus tard, le 17 mars 1980 - il va affronter l'UNJM en dénonçant l'emprise de celle-ci sur le mouvement estudiantin.

Le 1er mai 1979, l'Uneem s'affranchit de l'UNJM en entamant une politique vigoureuse de résistance à tout ce que le règne dictatorial militaire de l'UDPM-UNJM faisait subir au peuple malien. Il a poursuivi ce combat, bien au-delà des amphis et des campus, dans les arènes politiques nationales et internationales, toujours animé par une même flamme : celle d'un Mali juste, libre et démocratique".

2. L'ouverture aux droits de l'Homme, le passage à Amnesty International à Londres

Là également, des voix peuvent parler pour nous, surtout mauritaniennes. En effet, si un pays a bénéficié de la protection d'Amnesty International, c'est bien  la Mauritanie, alors dirigée par un dictateur ans nom : Ould Taya.  Permettez-moi donc de reprendre le témoignage de Kaaw Touré de Mauritanie, en apprenant la mort de Tiébilé Dramé.  "Tristesse, le sauveur des prisonniers politiques négro-mauritaniens pendant les années de braise vient de tirer sa révérence. adieu Tiébilé !

Enfant de Nioro du Sahel où il a vu jour le 9 juin 1955 il a fait ses études à l'Ecole normale supérieure de Bamako, puis à l'Université Paris Panthéon-Sorbonne où il obtient un DEA en histoire de l'Afrique.

Nous l'avons connu pendant notre exil au Sénégal ou les  années de plomb du colonel sanguinaire Ould Taya alors que lui, l'antenne d'Amnesty, était chef du département Mauritanie-Mali-Sénégal d'Amnesty International.

Il était basé au siège d'Amnesty International à Londres et était notre interlocuteur direct moi et mon ami et fidèle compagnon de lutte Ciré Ba responsables du département de la presse et à l'information des Flam. Pas besoin de passer par les sections locales (Dakar, Sénégal) ou française (Paris). Nous avions eu droit à des appels téléphoniques internationaux sortants et gratuits depuis Dakar. Les informations étaient transmises en temps réel.

Sans parti pris et avec la distanciation requise, en professionnel vérifiant les informations fournies, il a alerté le monde à travers les publications d'Amnesty International (actions urgentes et rapports) sur les graves, massives et constantes violations ciblées des droits de l'Homme en Mauritanie. Trois rapports d'Amnesty, sous la direction de Tiébilé, consacrés à trois années d'emprisonnements politiques, de tortures et de procès inéquitables" parus sous forme de livre, vont nous libérer.

Il ne s'est jamais contenté des informations importantes que nous lui transmettions. Il se déplaçait à Dakar et les vérifiait. Notre rigueur et notre honnêteté partagées ont installé la confiance réciproque.

Sans ses alertes aucun pensionnaire de la prison mouroir de Oualata n'aurait échappé à la mort programmée par le régime du sinistre colonel génocidaire Maawiya Ould Sid' Ahmed Taya. Sans ses alertes fondées sur des recoupements vérifiés, les chauvins pan-arabistes, qui avaient procédé à la captation de l'Etat et l'institution militaire, auraient réalisé leur projet d'effacement définitif des populations noires du Sud de la Mauritanie.

C'est encore avec nos informations et l'annonce, à partir de Londres, par Amnesty International de la mort de plus de 200 militaires négro-africains 1990-1991 et la confirmation de ces atrocités par différents témoignages qui ont provoqué un véritable choc dans l'opinion publique nationale et internationale. Comme sonnées par la révélation de ces horreurs, différentes personnalités et organisations ont tenu à exprimer leur stupeur et leur indignation. C'était le début à ce que j'appelle "le printemps des lettres ouvertes" en Mauritanie et qui a forcé finalement Ould Taya à lâcher du lest avec sa démocratie bridée. Et comme le dit bien le proverbe pulaar "remercions Dieu mais aussi ses intermédiaires".

Il vous souviendra qu'à la chute du dictateur Ould Taya, le Parena a été le premier parti malien à saluer l'avènement des nouvelles autorités qui avaient mis fin à l'autocratie et au racisme anti-Noir qui étaient le fondement de la dictature tombée. On ne peut regretter cette chute du  3 août 2005 comme on ne saurait regretter au Mali le 26 mars 1991.

3. Un artisan incontestable

 de la Révolution démocratique de 1991 au Mali

L'exil sera un tremplin pour l'homme de contacts "d'exploser" littéralement en termes d'initiatives et de tentatives multiformes de regroupements de tous genres pour les Maliens, pour les Africains, pour les Noirs, pour la Révolution. Ainsi sera-t-il un pilier du Comité international de défense des ouvriers africains (Cidoa), du Comité de défense des libertés démocratiques au Mali (CDLDM), vitrine de l'opposition malienne en Fiance,  des clubs anti-apartheid, des associations communautaires, des organisations d'assistance à l'immigration, des cours du soir dans différentes langues nationales, dans les foyers de la diaspora.

C'est l'occasion de dire un mot sur l'homme  de  culture et l'homme attaché à son terroir, à la langue et aux us et coutumes de chez lui, à sa langue maternelle le soninké, dont il était si fier.  Dans les foyers et résidences de ses compatriotes en France, jamais on ne pouvait faire la différence entre Tiébilé et les ouvriers, par l'accoutrement, le langage et le verbe haut en bon Maraka. C'était son credo : être collé au peuple !!

Et, comme un signe du Destin, sa dernière apparition publique et internationale eut lieu à l'occasion de la première édition de la journée mondiale de la langue soninké tenue dans les locaux de l'Unesco, à Paris le 25 septembre 2024. Sous le thème du Soninké à l'heure du numérique cette édition a consacré le soninké comme deuxième langue africaine après le swahili à bénéficier d'une journée mondiale dédiée à son rayonnement et à son épanouissement à travers le monde. 

C'est de tout cela que va émerger l'homme politique, déjà timidement engagé au Mali dans les structures clandestines de résistance à la dictature. Sortiront de ce combat dans l'ombre les idées devenues actions : SVB,  CLTGK, Clubs Unesco, CNID, AEEM, Adide, etc.

Le Cnid deviendra le fer de lance de la lutte à visage découvert contre l'autocratie. Coordinateur de cette organisation à l'extérieur, notamment en Europe, il refusa de piloter notre historique meeting du 27 mars 1991 au Trocadéro pour célébrer la Révolution du 26 mars : c'est toi PPR qui dois monter, tu es le président de la section de France du Cnid, tu es désigné porte-parole de la coordination du Mouvement démocratique en France...

Ainsi l'histoire fut-elle écrite : alors qu'il avait la légitimité de monter sur le podium, le chef  a laissé à son lieutenant la voie. Ceci en disait long sur ce qui sera notre compagnonnage de 1978 à 2025 : l'écoute permanente du camarade, l'occasion de toujours tester s'il peut assumer le remplacement, voire le leadership.

Le leader rentré d'exil, il lui fut proposé un poste ministériel. L'avis du cercle restreint acquis, on a vu le maçon au pied du mur, au ministère délégué chargé des Maliens de l'extérieur, ces Maliens qu'il qualifiait d'une des mamelles nourricières du pays. Le jeune ministre, dans un sursaut de solidarité inédite d'un ministre en mission, va refuser de boire de l'eau dans un pays étranger où ses compatriotes étaient emprisonnés : s'ils sont libérés, je vais boire votre eau. On sentait l'acier trempé ! C'est pourquoi, ceux qui connaissaient cette histoire n'ont pas été surpris en 2019, lorsqu'il  a rappelé à l'ordre Monsieur Sidatti, président de la CMA, qui ne voulait pas respecter le drapeau et l'hymne du Mali. 

Dès la fin de la Transition en 1992, il connaissait le chemin de la démocratie très long et il voulait ménager sa monture. Il créa alors un Journal de référence pour faire ce qu'il a su bien faire en Europe : la communication pour conscientiser et prendre date. 

4. L'homme d'Etat

Le refus de boire de l'eau en soutien à ses compatriotes donnait le ton du caractère trempé de l'homme qui ne succombait pas à toutes les sirènes et ne s'accommodait pas à toutes les bienséances, fidèle à une conviction.

Cette trame sera sa boussole tout au long de son riche parcours : il continua à être le porte-voix de la liberté et de la démocratie de la patrie de Soundiata Kéïta, nom devenu par accident du destin l'adresse de son parti "Rue Soundiata Kéïta".

Après les Affaires étrangères sous la Transition de 1991-92, il est nommé en juillet 1996 ministre des Zones aides et mi arides. Il mettra un contenu inattendu dans ce département. Il en a profité, disait-il, pour rembourser un peu sa dette morale envers le Nord du pays dont il a bénéficié de l'accueil, de la compassion et de la générosité lors de ses nombreux séjours dans les prisons du dictateur président.

Ceci est le secret de son attachement au Nord de notre pays de sa connaissance de son terrain et de se hommes. Ceci est le secret que dans la crise au nord de notre pays, il était l'un des plus outillés et des plus engagés pour que les frères se parlent, pour que les armes se taisent, que des Maliens ne tuent pas des Maliens.

Son expertise au service du pays lui donnera des initiatives créatrices avec des partenaires au développement qui lui faisaient confiance. Ici, j'ai une pensée de reconnaissance envers les partenaires hollandais. Des projets surgirent de partout pour le développement au nord. Il organisera en janvier 1997 la Table ronde de Kayes, véritable boussole pour le développement de la première région administrative du pays, toujours d'actualité. Il se frotte au suffrage en juillet 1997 et devient député de Nioro du Sahel jusqu'en 2002. Il est nommé président du comité d'organisation du Sommet Afrique-France qui s'est tenu du 3 au 4 décembre 2005 à Bamako. Le succès de la rencontre lui valut la médaille d'officier de la Légion d'honneur française.

6. Le diplomate, le négociateur

L'Accord préliminaire de Ouagadougou. En 2013, sous la Transition pilotée par le Pr. Dioncounda Traoré, celui-ci le sollicita pour gérer le dossier du Nord du pays afin de permettre les compromis nécessaires pour la tenue de l'élection présidentielle. Tiébilé étala à l'occasion tout son savoir-faire diplomatique. Et le fameux Accord de Ouagadougou fut signé, le 18 juin 2013.

L'ONU avait sollicité le haut diplomate avant son pays, d'abord à Haïti dès 1993, ensuite à Madagascar et au Burundi.

7. Le panafricaniste

La constance à l'idéal panafricain, à l'école de Nkrumah, Modibo Kéïta et Ahmed Sékou Touré va éclore pendant l'exil en Europe. Tiébilé ayant vite rejoint les combats des étudiants révolutionnaires, panafricanistes et internationalistes pour la démocratie et l'émancipation des peuples noirs et africains victimes du néocolonialisme et des régimes tyranniques civils et militaires, soumis à l'impérialisme. Ainsi il participera à la création de beaucoup d'organisations, va être un dirigeant de ceux qui se battaient contre l'hypothétique 3e Guerre mondiale imminente, imposée aux peuples par l'impérialisme oppresseur.

L'opportunité à lui donnée en 1991-1992 d'occuper le poste stratégique de ministre des Affaires étrangères chargé des Maliens de l'extérieur va être un véritable tremplin pour lui de créer des réseaux et des relais d'une véritable intégration africaine passage obligé pour l'épanouissement et l'émancipation des  peuples africains.

Pour terminer, Monsieur le Président, je voudrais dire à tes enfants, à mes enfants, Fatou,  Mamadou, Mouna, Baba, Massiré, Nohan, mes précieuses jumelles Nandi et Aminta, Badiallo, Alpha et Adame, en citant un de leurs pères, un de nos camarades de lutte, Dr. Oumar Mariko : "Je porte le deuil avec vous, avec l'espoir que notre lutte portera ses fruits et que votre père sera honoré par la patrie reconnaissante envers ses dignes fils, pour de vrai. Soyez fiers de votre père !"

Enfin, Monsieur le Président, entonne avec moi, avec le Pr. Drissa Diakité, Sayon Sissoko, Sadio Diawara, Mah Kéita, Mamadou Baba Sissoko, Moussa Djougal Dolo et tous ceux qui ont dédié leur vie au Parena, entonne avec moi, Monsieur le Président, l'hymne du Parena, l'Appel :

Doussou béton mina,

Faso djo dossu bè ton miina,

Kanou bé ton mina,

Faso djo kanou bè ton mina,

Hine be ton mina, Yatimè ou hinè bè ton miina

Otogo de ye Parena... Parena… Parena

Dors en paix, Monsieur le Président ! 

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