« Déchéance de nationalité : peut-être est-ce faire trop de bruit pour peu de chose ? Peut-être serait-il plus raisonnable de laisser passer ? Je ne suis sûre de rien, sauf de ne jamais trouver la paix si je m'avisais de bâillonner ma conscience », écrit-elle. « Osons le dire : un pays doit être capable de se débrouiller avec ses nationaux. Que serait le monde si chaque pays expulsait ses nationaux de naissance considérés comme indésirables ? Faudrait-il imaginer une terre-déchetterie où ils seraient regroupés », énonce-t-elle crûment.
Pourquoi elle est contre la déchéance
Désastreuse sur le plan symbolique, la déchéance de nationalité serait à ses yeux « inefficace » : ses « effets [sont] nuls en matière de dissuasion », insiste-t-elle. Mais alors ? « À qui parle et que dit le symbole de la déchéance de nationalité pour les Français de naissance ? Puisqu'il ne parle pas aux terroristes […], qui devient, par défaut, destinataire du message ? » s'interroge l'ancienne ministre de la Justice. À cette question, Christiane Taubira semble répondre que l'exécutif a opté de ne s'adresser qu'aux « obsédés de la différence, [aux] maniaques de l'exclusion, [aux] obnubilés de l'expulsion ». Voire « aux paranoïaques et conspirationnistes, [qui ne] perçoivent [les binationaux] que comme la cinquième colonne ». Ce qu'elle regrette d'autant plus qu'elle refuse l'idée « qu'être binational [puisse être] un sursis ».
Charge féroce contre la déchéance de nationalité, le texte de l'ex-garde des Sceaux traduit l'état de « schizophrénie » que Mme Taubira a dû vivre pendant plus d'un mois en restant membre d'un gouvernement préparant la mise en application du discours de François Hollande, devant le Congrès à Versailles. « Nous devons pouvoir déchoir de sa nationalité française un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation […], même s'il est né français », avait alors déclaré, le 16 novembre dernier, le président... sur les conseils de Manuel Valls et de Bernard Cazeneuve, sans que Christiane Taubia soit consultée.
Les raisons du divorce
« Un mois durant, Christiane Taubira a espéré pouvoir infléchir la politique du gouvernement et empêcher que l'aile dure ne l'emporte dans la mise en place d'un dispositif ultra-sécuritaire. Elle était hantée par l'idée que l'on puisse laisser à d'autres des outils législatifs potentiellement dangereux », glisse l'un de ses anciens conseillers pour justifier son maintien au sein de l'équipe gouvernementale.
Les choses semblent s'être précipitées fin décembre lorsque, conforté par les sondages, l'Élysée a tranché en faveur de la déchéance. C'est ce qui aurait poussé Christiane Taubira à se lancer dans la rédaction de ce livre, dont une partie du manuscrit a été soumise au président, insiste l'entourage de l'ancienne ministre.
Car si Mme Taubira confie son malaise face aux « dérives » sécuritaires du gouvernement et son regret de ne pas voir la gauche s'investir davantage dans le domaine social, elle semble craindre de froisser le président de la République.
Son livre n'égratigne à aucun moment le chef de l'État. Mieux, elle en salue l'attitude au lendemain des attentats de novembre.
En publiant ce livre quatre jours avant le début de l'examen du projet de loi constitutionnelle à l'Assemblée nationale qui commence vendredi, Christiane Taubira s'invite dans le débat de manière tonitruante. Mais elle prend garde à ne pas se brouiller définitivement avec l'Élysée...