Hydrocéphalie au Mali : Quand le regard social aggrave la maladie

Maladie neurologique fréquente mais mal comprise, l’hydrocéphalie touche des centaines d’enfants chaque année au Mali. Au-delà du défi médical, le poids des croyances, des peurs et du capacitisme nourrit la stigmatisation et retarde la prise en charge, avec des conséquences lourdes pour les familles. Dans ce dossier, état des lieux, cadre juridique, et pistes d’action.

27 Août 2025 - 01:22
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Hydrocéphalie au Mali : Quand le regard social aggrave la maladie

Selon Dr Diallo Moussa, neurochirurgien, enseignant à l'Université de Bamako, praticien à l'Hôpital Gabriel Touré, « la macrocéphalie est l'un des signes de manifestation de l'hydrocéphalie. C'est l'accumulation de liquide dans la tête. Dans la tête de tout le monde, il y a des poches dans lesquelles se forme le liquide que l'on appelle le liquide céphalo-rachidien. Chez l'adulte, il y en a environ un demi-litre par jour. Ce liquide, une fois formé, a des chemins par lesquels il s'écoule pour aller dans le sang. Et ce phénomène est continu tout au long de la vie ».

En Afrique subsaharienne, on estime à près de 200 000 le nombre de nouveaux cas annuels chez le nourrisson, un fardeau largement lié aux infections néonatales (hydrocéphalie post-infectieuse).

Au Mali, les services de neurochirurgie pédiatrique signalent 350 à 400 nouveaux cas par an dans leur principal centre de référence, avec des familles parcourant parfois jusqu’à 1 500 km pour accéder aux soins — un obstacle logistique et financier majeur. (pmc.ncbi.nlm.nih.gov)

Dans la néonatologie du CHU Gabriel-Touré, une étude a retrouvé 0,72 % d’hydrocéphalies congénitales parmi 5 416 nouveau-nés hospitalisés, souvent associées à un spina bifida, un marqueur d’insuffisances en prévention périnatale. (library.adhl.africa)

« Ségou, société très conservatrice jusqu’à présent, l’hydrocéphalie est encore associée à des croyances de malédiction ou de châtiment, dont les effets se traduisent par la honte, la mise à l’écart de la mère et l’isolement de l’enfant », explique madame Traoré, mère d’un enfant atteint de macrocéphalie de 15 ans. Elle poursuit : « il existe des stigmates persistants, la peur des complications chirurgicales, et des soutiens familiaux fragiles, autant de facteurs qui retardent le recours aux soins ».

« La famille souffre par manque d'informations. Cette famille n'a pas été préparée à ceci et à cela. Autour de cette famille, il y a d'autres familles qui regardent l'enfant sous un autre angle. Dans l'une des consultations récentes, j'ai vu une dame qui m'a dit que quand elle a accouché d'un enfant qui avait une grosse tête, l'enfant, en grandissant, avait du mal à s'amuser avec les autres enfants du quartier. Parce qu'on l'appelait "grosses têtes", et son enfant n'avait aucun handicap. Zéro handicap. Donc elle en souffrait. L'enfant aussi en souffrait parce que quand il avait un certain âge, il se battait avec les gens, ou bien il pleurait et rentrait à la maison. L'enfant en souffrait donc, les parents en souffraient.

C'est déjà entre les enfants. Mais le regard des autres parents vis-à-vis de ce couple qui a un enfant avec cette maladie est un préjugé. Même si l'enfant est traité, c'est bon pour ceux qui ont été pris en charge rapidement, dont le développement est normal, qui n'ont pas de macrosclérose. Mais ceux qui ont la macrosclérose vont souffrir toute leur vie, la vie de leur enfant, à l'école, au quartier, etc. Et c'est la famille qui prend le coup, malheureusement. Il y a donc un préjugé parce que les gens ne connaissent pas la maladie.

Il y a un préjugé parce que les gens ont d'autres idées mystiques derrière la maladie, même au sein du couple. Je me souviens dans un pays dont je ne saurais donner le nom, un pays limitrophe, à l'époque, je ne me souviens plus quelle année, en 2009, 2010, on a fait une étude là-bas. Il y a 66% des couples dont les enfants ont cette malformation qui sont désagrégés. 66% des couples sont désagrégés. Soit le père est parti, soit la mère n'en pouvait plus. Parce que souvent, en grossesse, c'est une maladie, et surtout les enfants qui ont un grand retard de développement psychologique, ça demande beaucoup de soutien financier. L'enfant est à la charge de la mère. À un moment donné, il y a un conflit parce que le père va dire qu'il dépense, il n'y a pas de suivi, et maintenant on va chercher qui est responsable de quoi. Donc la plupart du temps, on accuse la femme. Et le couple ne durera pas. Vous voyez ? C'est donc une maladie dont le côté social n'est vraiment pas négligeable.

« Retard de prise en charge, décrochage scolaire et isolement, charge mentale des mères, les problèmes créés sont nonbreux qui font que les couples survivent difficilement », explique El Khalil, sociologue. Pour lui, la solution est de « dialoguer avec leaders religieux et chefs traditionnels pour déconstruire la notion de « malédiction » et valoriser le recours précoce aux soins et raconter les réussites locales à travers les campagnes audio (radios communautaires) présentant des trajectoires d’enfants opérés et réinsérés ».

Que dit la loi malienne ?

Le Mali a ratifié en 2007 la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CRPD), puis adopté la loi n° 2018-027 du 12 juin 2018 pour promouvoir et protéger les droits des personnes vivant avec un handicap. Un décret de 2021 en précise l’application, incluant notamment un quota de 15 % réservé aux diplômés en situation de handicap dans certains concours de la fonction publique. Reste l’enjeu de l’application effective.

 

Aminata Agaly Yattara

Ce reportage est publié avec le soutien de Journalistes pour les Droits Humains (JDH) au Mali et NED.

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