Mères étudiantes : Les héroïnes d’une double vie
Malgré les contraintes liées à la maternité et souvent la pression sociale, certaines jeunes femmes poursuivent leur parcours académique. Ces héroïnes font preuve de courage, de résilience et d'un sens remarquable de l'organisation

Jusqu’à un passé récent, les jeunes femmes mères avaient du mal à concilier les études avec les obligations de mères. On le sait pertinemment, c’est une chose difficile sans le soutien des siens et un sens de l’organisation. Mais aussi de la résilience et du courage. Malheureusement, beaucoup d’entre elles préféraient renoncer dans le temps à leurs ambitions de décrocher leurs diplômes dans de nombreuses spécialités et se consacrer à leur rôle de mère. Ce n’est pas une vue de l’esprit, même si l’on ne dispose pas de statistiques sur la question, c’était en tous cas la tendance. Aujourd’hui, tout porte à croire l’inverse. Les étudiantes mères dépassent le complexe et s’organisent avec le soutien de leurs époux ou de leurs famille pour terminer leurs cursus universitaires. Ces étudiantes arrivent à concilier vie de mère et celle d’étudiante, parfois au prix d’énormes sacrifices et d’implications plus poussées des siens (notamment leur encouragement et accompagnement). Nous en avons rencontrées quelques unes dans différentes facultés d’universités.
À la Faculté des sciences juridiques et politiques (FSJP), Aïssata Coulibaly porte son enfant sur le dos. Sa petite sœur l’accompagne pour servir de nurse au bébé pendant les heures de cours. Cette jeune étudiante de 24 ans porte en bandoulière un sac contenant les layettes de son bébé et tient en main un autre. Malgré les nuits d’insomnie liée aux pleurs de son bébé, la jeune épouse tient à suivre avec assiduité ses cours de droit. Mais elle explique à qui veut l’étendre que les choses auraient été peut-être différentes sans le soutien de sa mère et de sa sœur. Cette épouse, actuellement en Licence 3, vit en couple avec son époux depuis 4 ans.
Maman d’un petit garçon de deux ans, Aïssata Coulibaly explique avoir contracté sa grossesse en 2è année. La jeune étudiante souligne avoir eu du mal à concilier les cours, les rendez-vous médicaux, notamment les consultations prénatales. Elle évoque qu’une difficulté majeure reste le temps à trouver pour faire ses révisions tout en s’occupant de son enfant et de son mari. Sans oublier la fatigue. La mère étudiante déclare : «Mon mari m’aide beaucoup et mes parents me soutiennent également. Et il n’existe pas de service de garde pour les enfants à la faculté. C’est pour cela que je me fais accompagner par ma sœur.»
Aïssatou Coulibaly, planifie ses journées à l’avance et étudie lorsque son enfant dort. Elle ajoute qu’à plusieurs reprises, elle a essayé de renoncer aux études du fait de la charge émotionnelle et physique liée à la situation, avant de se raviser. Aujourd’hui, son seul objectif reste de trouver un équilibre entre ses obligations académiques et maternelles. Elle estime que ce n’est guère intéressant de toujours amener son enfant à l’université. Elle s’empresse de rendre hommage aux enseignants pour leur compréhension dans la plupart des cas. «Certains professeurs sont d’accord pour qu’on reste avec les enfants en classe. Par contre d’autres refusent. Mais je comprends tout a fait parce que la classe n’est pas faite pour ça», reconnait-elle.
À l’Université Yambo Ouologuem de Bamako (Uyob), sise à Kabala, il est environ 7h 30 et c’est déjà une ambiance matinale. On y aperçoit des étudiants pressés, d’autres en train de deviser et des amphithéâtres pleins. À la pause à midi, l’atmosphère se détend autour du thé ou des révisions. Parmi les étudiants, quelques mères tiennent en main leurs enfants, souvent endormis sur leurs genoux ou jouant à côté.
Soutien de l’époux- Mariam Keïta, âgée de 22 ans est étudiante à l’Uyob, en Licence 2 socio-anthropologie. Elle a convolé en justes noces ,il y a trois ans et a donné naissance à un garçon qui fête son premier anniversaire. Cette mère entre discrètement dans une salle de classe et s’installe au fond avec son enfant qu’elle place près d’elle. Une camarade de classe l’aide souvent à comblé son retard dans les cours. Elle fait de son enfant une source de motivation pour réussir ses études. Elle est tombée enceinte en première année.
Lors de sa grossesse elle a continué à assister aux cours jusqu’au dernier trimestre de l’année universitaire. C’était difficile pour elle, parce qu’il y avait de la fatigue accumulée et manquait du temps d’apprentissage. Après l’accouchement, sa belle-mère à continuer d’insister pour qu’elle prenne soin de son bébé au lieu de reprendre les cours. C’était une épreuve pour elle. Heureusement que son époux et son beau-père ont été pour elle des épaules sur lesquelles, elle a pu se reposer et rebondir.
«Quand j’ai donné naissance à mon fils, pendant les quarante premiers jours, c’était difficile d’aller suivre les cours. Mais une camarade m’a passé ses notes et j’ai pu m’en sortir», confie celle qui se lève chaque jour à 4 heures du matin pour préparer le petit déjeuner et le déjeuner avant de partir à l’université. L’étudiante précise avoir embauché une aide-ménagère qui l’accompagne parfois à la Faculté pour garder l’enfant.
Quant à Fatoumata Sangaré, elle aussi se fait aider par sa jeune sœur concernant la garde de son enfant de 6 mois. L’étudiante en économie pour le Master 1 à l’Université des sciences sociales et de gestion de Bamako (USSGB) se tient devant son ordinateur. Elle bénéficie du soutien constant de son époux. Du haut de ses 30 ans, Fatoumata Sangaré est mère de deux enfants dont un garçon de 3 ans. Elle a eu son premier enfant quand elle était à sa dernière année de Licence. Elle a vécu une période de grossesse marquée par le stress et l’angoisse d’achever la seule année qui lui restait pour décrocher son parchemin. Sans les encouragements de son époux et de sa sœur, elle aurait quitté l’école. Cette chance n’est pas donnée à tout le monde. Une jeune dame élancée de teint noir porte son enfant sur le dos. Sous anonymat, elle explique avoir quitté son village pour continuer ses études secondaires et universitaires à la Faculté des sciences humaines et de l’éducation (FSHSE). Sans tuteur à Bamako, elle a décidé de résider au campus de son université. Après sa première année, elle a donné naissance à un enfant après avoir contracté une grossesse avec un étudiant qui a renié la paternité de l’enfant. Elle s’est vue contraindre ainsi de louer un studio. Quand elle a cours, elle vient contre son gré, avec sa fillette dans la salle.
Garderie- Dans la cour de l’Institut universitaire de gestion (IUG), le phénomène est manifeste. Fatoumata Touré, 24 ans, suit une formation en informatique à l’IUG . Mère d’un garçon de deux ans, elle se souvient du mépris à son encontre quand elle a décidé de continuer les études pour son bonheur et pour son enfant. Elle était moquée par des amies, mais a ignoré cette pression sociale et celle de ses camarades. «Je viens parfois avec mon fils en classe quand je n’ai personne pour en prendre soin à la maison», explique-t-elle. Elle trouve cette situation gênante parce qu’il lui arrive de quitter la salle en plein cours pour calmer sa petite fille. Heureusement que le plus souvent, elle bénéficie de la mansuétude et de la compréhension des enseignants.
Amadou Diarra, étudiant à l’Uyob, témoigne aussi. C’est assez fréquent de voir des jeunes femmes allaitantes dans les salles de classe. Il pense que c’est une corvée pour ces jeunes dames de concilier les études et d’autres obligations. «Ma belle-famille avait souhaité que mon épouse continue ses études après le mariage. J’avais acquiescé dans un premier temps avant de me rendre compte que c’est difficile», explique-t-il. Et de dire que son épouse n’a pu continuer du fait de fréquents différends qu’elle avait avec le personnel enseignant et ses camarades de classe. Assis sur une chaise en bois devant un commerce à N’golobougou dans la Commune rurale de Kalaban coro, Mamadou Traoré, quinquagénaire encourage les mères étudiantes. «Je trouve ça courageux. Une femme qui ne renonce pas à ses études malgré la maternité. C’est une preuve de détermination. Il faudrait que les écoles pensent à aménager un espace pour les bébés», suggère ce chef de famille.
Dr Ibrahima Traoré, spécialiste en sociologie de l’éducation au département d’études et de recherche en science de l’éducation (DER SED) explique que les mères étudiantes qui amènent leurs enfants dans les salles de classe nuisent à l’environnement calme de la classe qui est nécessaire pour véhiculer un message compréhensif. Le sociologue propose d’aller à la création d’une garderie à l’Université avec un moyen de communication entre nounous et mères respectives au besoin.
Nos tentatives d’aborder la question avec différents doyens de faculté et les conditions d’études appropriées pour les mères étudiantes sont restées vaines.
Rédaction Lessor
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