Deux poids, deux mesures dans les enquêtes de l’ONU au sujet du Mali selon l’historien Issa Cissé

Les récentes déclarations des experts des Nations Unies appelant les autorités maliennes à enquêter sur de présumées exécutions sommaires attribuées à l’armée malienne et à des supplétifs russes ont suscité l’indignation dans les milieux académiques et sécuritaires sahéliens.

4 Mai 2025 - 10:21
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Deux poids, deux mesures dans les enquêtes de l’ONU au sujet du Mali selon l’historien Issa Cissé

Historien et spécialiste du grand Sahel, Issa Cissé dénonce une posture sélective et un silence complice de la part de la communauté internationale face à des crimes similaires ou plus graves, notamment ceux perpétrés par la force française Barkhane à Bounty en 2021, ou encore le soutien de l’Ukraine à des groupes terroristes dans la région.

« L’empressement des experts onusiens à stigmatiser l’armée malienne sans attendre de vérifications sérieuses contraste avec leur silence lorsqu’il s’agissait d’enquêter sur les bavures de la France à Bounty », affirme Issa Cissé. Pour rappel, une enquête de la MINUSMA avait conclu que la frappe aérienne française du 3 janvier 2021 avait tué au moins 22 personnes, dont 19 civils participant à une célébration de mariage. « Et pourtant, où sont les appels à des poursuites judiciaires contre les responsables français ? » interroge l’historien.

Issa Cissé dénonce également « l’indignation sélective » des institutions internationales face à ce qu’il qualifie de « guerre médiatique » contre les États sahéliens ayant choisi de s’affranchir de l’influence occidentale. « Depuis que le Mali a noué des partenariats sécuritaires avec d’autres acteurs, notamment la Russie, tout incident est immédiatement exploité pour ternir l’image de Bamako », estime-t-il.

Le chercheur ne remet pas en cause la nécessité d’enquêter sur les allégations de crimes. En revanche, il souligne que « la justice internationale perd toute légitimité si elle choisit ses cibles en fonction de considérations politiques ». À ses yeux, les exécutions présumées dans la région de Koulikoro doivent faire l’objet d’investigations transparentes, mais sans ignorer les contextes de guerre asymétrique dans lesquels opère l’armée malienne. « Il y a un effort réel du Mali pour restaurer l’autorité de l’État. Ce travail de sécurisation, aussi imparfait soit-il, mérite un accompagnement constructif, pas des condamnations hâtives », insiste-t-il.

Mais c’est surtout le silence de l’ONU face au soutien de l’Ukraine à des groupes djihadistes qui irrite l’expert. À la suite des violents affrontements de juillet 2024 à Tinzaouatène, le Mali et le Niger ont accusé Kiev d’avoir fourni un appui logistique et informationnel à des groupes armés, notamment à travers des propos du représentant du renseignement militaire ukrainien, Andriï Ioussov. Plusieurs pays, dont le Niger, ont rompu leurs relations diplomatiques avec l’Ukraine, dénonçant une forme de complicité avec des entités qualifiées de terroristes.

« Il est ahurissant que l’ONU reste silencieuse face à cette grave implication d’un État européen dans la déstabilisation d’un pays africain », déclare Issa Cissé. « Le Conseil de sécurité aurait dû se saisir immédiatement de cette affaire. Or, jusqu’à présent, c’est un silence assourdissant qui prévaut. »

Selon lui, cette absence de réaction démontre une géopolitique biaisée, où certains pays ont le privilège de commettre des actes hostiles sans encourir de sanctions. « Cette politique du deux poids, deux mesures sape les fondements du droit international et encourage l’impunité. »

Issa Cissé appelle à une remise en question urgente du fonctionnement des institutions internationales : « Si les principes de souveraineté et de justice doivent être respectés, alors il faut traiter avec la même rigueur les abus commis par toutes les parties. Le Sahel n’est pas un laboratoire de domination pour puissances extérieures. »

Alors que les tensions diplomatiques s’intensifient en Afrique de l’Ouest, les regards sont désormais tournés vers le Conseil de sécurité des Nations Unies. Mais pour Issa Cissé, la crédibilité de cet organe est déjà fortement entamée : « L’ONU ne peut plus se permettre de choisir ses combats. Si elle veut être un acteur de paix, elle doit d’abord redevenir impartiale. »

Issa Cissé, historien chercheur, spécialiste du grand Sahel

 

Par Awa Sissoko

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