Modibo Mao Makalou, Économiste : "L’économie malienne résiste, mais l’inflation menace le pouvoir d’achat"
Dans un contexte marqué par une inflation historique, des ajustements budgétaires successifs et des tensions monétaires persistantes, l’économiste Modibo Mao Makalou ancien sherpa de la Commission de l’Union africaine et du Nepad, et ex-conseiller aux affaires économiques et financières de la Présidence du Mali livre une analyse lucide et sans détour de la situation économique du pays.

Dans un contexte marqué par une inflation historique, des ajustements budgétaires successifs et des tensions monétaires persistantes, l’économiste Modibo Mao Makalou ancien sherpa de la Commission de l’Union africaine et du Nepad, et ex-conseiller aux affaires économiques et financières de la Présidence du Mali livre une analyse lucide et sans détour de la situation économique du pays.
Entre croissance résiliente et fragilités structurelles, il décrypte les moteurs et les freins de l’économie nationale, tout en mettant en lumière les enjeux cruciaux liés à la gestion de la monnaie et aux choix de politique publique. Une interview éclairante sur les dynamiques qui façonnent le quotidien des Maliens. Entretien.
Mali Tribune : Quelle est votre appréciation de la santé actuelle de l’économie malienne ? Quels en sont les moteurs et les freins ?
Modibo Mao Makalou : Sur le plan macroéconomique, l’économie malienne affiche une croissance modérée mais constante d’environ 5% en moyenne ces 3 dernières années. Toutefois, cette dynamique est fortement perturbée par une inflation sans précédent depuis le début de l’année 2025. Le Mali, qui était historiquement performant dans la lutte contre l’inflation, 0,7% en 2020 et 2,1% en 2023 enregistre désormais l’un des taux les plus élevés de l’Uémoa.
À cela s’ajoutent des défis multiples : conjoncture internationale défavorable, insécurité, tensions géopolitiques, dépendance aux échanges extérieurs, changements climatiques. Notre économie est extravertie car 60% de l'activité économique est liée au commerce international ce qui la rend vulnérable aux chocs exogènes, notamment la fluctuation des prix du pétrole, du coton et même de l’or, dont les retombées positives restent limitées.
L’exploitation en 2025 de 2 mines de lithium qui font de notre pays le 1er producteur africain pourrait toutefois contribuer à amortir ces chocs exogènes et surtout de diversifier la production et l’exportation minière qui étaient exclusivement basées sur l’or qui représentait récemment presque 90% de nos recettes d’exportation.
Mali Tribune : Quel est le niveau actuel de l’inflation, et quel impact cela a-t-il sur les citoyens, en particulier les plus vulnérables ?
M. M. M. : Les derniers chiffres disponibles de janvier à avril 2025, indiquent un taux d’inflation moyen d’environ à 8,4 %, alors qu’avant 2020 l’inflation dépassait rarement 2 %. Cette hausse généralisée des prix des biens de consommation affecte directement le pouvoir d’achat. Prenons un exemple : si vous gagnez 500 000 francs par mois et que vos dépenses s’élèvent à 300 000 francs, vous pouvez épargner 200 000 francs.
Mais avec une inflation de 10 %, vos dépenses augmentent à la hauteur de l’inflation si vous les maintenez, réduisant votre capacité d’épargne. La stabilité des prix est justement l’un des objectifs fondamentaux de la Banque centrale, car elle conditionne le maintien du pouvoir d’achat en stabilisant les prix.
Mali Tribune : La loi de Finances initiale 2025 a été récemment rectifiée. Est-ce un ajustement conjoncturel ou un signal plus profond ?
N. M. M. : La rectification de la loi de finances initiale 2025 intervenue en fin août 2025 se traduit par une hausse des recettes budgétaires de 90,8 milliards FCFA de même qu’un appui budgétaire du Fonds Monétaire International (FMI) de 74,4 milliards FCFA et une réduction du déficit budgétaire de 40 milliards FCFA par rapport à la loi de finances initiale 2025.
C’est une évolution positive avec des dépenses budgétaires s’élevant à 3280 milliards FCFA, des recettes budgétaires évaluées à 2740 milliards FCFA et un déficit budgétaire de 540 milliards FCFA. Des réaffectations budgétaires ont été opérées : hausse des crédits pour la défense, la sécurité, la santé, la culture, les loisirs, les cultes et les projets d’infrastructures ; baisse pour les enseignements, l’agriculture, les logements et équipements collectifs, la protection sociale et l’environnement.
Ces ajustements reflètent les priorités nationales. Il faut rappeler que la loi de finances initiale, adoptée en décembre 2024, repose sur des prévisions. Son exécution sur l’année suivante en 2025 permet d’ajuster les recettes et les dépenses en fonction des réalités du terrain de la gestion publique.
Mali Tribune : Certains Maliens évoquent une raréfaction de l’argent dans les circuits économiques. Comment l’expliquez-vous ?
M. M. M. : La masse monétaire n’a pas diminué. Ce que l’on observe, c’est une hausse de l’inflation et une baisse de la circulation de la monnaie, symptôme d’une crise économique. La vitesse de circulation de la monnaie est un indicateur clé : si les prix augmentent mais que les transactions diminuent, cela traduit un ralentissement de l’activité économique. À l’inverse, une circulation rapide et une stabilité ses prix est un signe de vitalité économique. Évidemment la disparition des petites coupures de banque et des pièces de monnaie contribuent aussi à ralentir l’activité économique.
Mali Tribune : La présence accrue de billets mutilés est-elle liée à un manque de liquidité ?
M. M. M. : Non, c’est un problème lié à la gestion monétaire qui relève exclusivement de la Bceao pour ce qui concerne surtout des billets de banque et pièces de monnaie en circulation qui constituent une partie de la masse monétaire. La Banque centrale a l’obligation de fournir des billets de banque et pièces de monnaie en bon état, et de retirer ceux qui sont usés, sans coût pour les citoyens.
Des efforts ont été faits récemment : injection de nouvelles coupures, retrait progressif des billets abîmés. Mais notons que l’injection de la monnaie représente un coût élevé d’environ 50 milliards de francs CFA pour la Bceao pour les huit pays de l’Uémoa. Les petites coupures s’usent vite car elles circulent beaucoup vite et s’usent aussi plus rapidement que les grosses coupures et leur remplacement est coûteux. De plus, nos habitudes de manipulation des billets de banque et pièces de monnaie accélèrent leur détérioration.
Mali Tribune : Peut-on tout de même établir un lien entre cette situation et la crise économique ?
M. M. M. : Il peut y avoir un lien indirect. En cas de tensions politiques et d’incertitudes, la Banque centrale peut adopter des mesures conservatoires. Les rumeurs sur une éventuelle sortie du franc CFA, par exemple, peuvent perturber la gestion monétaire qui est basée sur la confiance des ménages, des entreprises et des investisseurs nationaux et internationaux dans la monnaie. Il est donc essentiel de faire preuve de prudence dans les discours publics pour ce qui concerne la gestion monétaire qui doit être autonome car la monnaie représente le pouvoir d’achat.
Sa gestion relève exclusivement de la Banque centrale, sur instruction des autorités politiques qui définissent les politiques publiques, y compris la politique économique (monétaire et fiscale) pour assurer l’amélioration des conditions de vie des populations.
Propos recueillis par
Ousmane Mahamane
Quelle est votre réaction ?






