L’état doit s’autolimiter pour continuer à jouir légitimement de ses prérogatives de puissance publique.

L’histoire politique n’est pas qu’une collection de faits passés ; elle est une source d’enseignements, un guide pour l’action et un fondement pour la légitimité.

24 Juin 2025 - 12:11
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L’état doit s’autolimiter pour continuer à jouir légitimement de ses prérogatives de puissance publique.

Pour un dirigeant, la maîtriser est une marque de sagesse, de pragmatisme et de vision. Elle permet de ne pas être un simple acteur du présent, mais un bâtisseur de l’avenir ancré dans le passé. Le dirigeant gagnerait à s’y référer pour une série de quatre bonnes raisons :

 - Comprendre le présent et anticiper l’avenir, en contextualisant les problèmes, en identifiant les schémas récurrents, en évaluant la faisabilité des réformes ;

- Apprendre des succès et des erreurs passées, en s’inspirant des réussites et en tirant des leçons des échecs ; -

- Renforcer la légitimité et la cohésion nationale, en contribuant décisivement à construire un récit national susceptible de réunir la population, renforcer le sentiment d’appartenance et légitimer le sentiment d’appartenance en l’inscrivant dans une continuité historique, en comprenant les identités et les sensibilités car chaque société a ses identités, ses valeurs, ses peurs et ses aspirations, anciennes ou acquises, en gérant la mémoire collective car les événements passés laissent des traces profondes dans la mémoire collective ; le dirigeant doit savoir comment aborder ces mémoires, les reconnaitre et le cas échéant, œuvrer à la réconciliation ;

- Maitriser les outils du pouvoir et de la gouvernance, en comprenant bien les Institutions pour les utiliser efficacement et envisager des réformes pertinentes, en décryptant les forces politiques car les partis politiques, les mouvements sociaux, les groupes de pression et les élites ont une histoire qu’il convient de connaitre pour savoir mieux naviguer dans le champ politique, et enfin en développant une vision stratégique encourageant une pensée à long terme, au-delà de l’immédiateté et situant les actions dans une perspective historique avec des objectifs durables. Il convient, donc, de bien garder à l’esprit que l’histoire politique du Mali est un témoignage des défis de la construction nationale, de la démocratisation et de la gestion des crises dans un contexte postcolonial et de géopolitique complexe. Nous voici aujourd’hui entre incertitudes et tensions. D’où l’intérêt de regarder derrière soi pour être un vrai acteur de notre devenir commun et forger un récit dont nos descendances seraient fières. Le chemin semble long, tortueux et a tendance à se dérober, quelques fois. Entre l’éloignement de l’horizon d’élections pluralistes souhaitées et attendues (notamment par les acteurs politiques), l’abrogation de la loi portant Charte des partis politiques puis leur dissolution pure et simple, un nouvel imbroglio politico-institutionnel survient. Courant mai 2025, la Section des Comptes de la Cour a adressé des lettres aux présidents des partis politiques (pourtant dissous), ayant pour objet l’audit du financement des partis politiques. Le contexte et les termes de cette demande quasi-concomitante avec la dissolution desdits partis interrogent et soulèvent de légitimes incompréhensions. Le présent essai vise à analyser les justifications (1) et le champ d’application de la demande (2) de la Section des Comptes, en appréhender les questions de forme (3) et livrer une discussion juridique des problèmes de fond (4).

1. De la justification et des motivations de l’audit de la Section des Comptes.

 1.1. Les concertations des forces vives de la Nation et des Maliens établis à l’extérieur. Il apparait que lesdites concertations étaient appelées à se prononcer de « manière sans équivoque » sur les trois recommandations des Assises Nationales de la Refondation de 2021 relatives aux partis politiques, à savoir la réduction du nombre de partis politiques en appliquant des conditions restrictives de création et de financement, la relecture (et non l’abrogation) de la Charte des partis politiques avec une réaffirmation du statut du chef de file de l’opposition et l’interdiction du nomadisme politique en cours de mandat. Ainsi, il en est issu des recommandations phares qui n’étaient pas celles des ANR, dont la dissolution des partis politiques et leur réorganisation par une nouvelle législation, la suppression du financement public des activités des partis politiques. Le gouvernement a argué de ce que 160 partis politiques sur 297 n’avaient pas fait suite à la lettre par laquelle il leur demandait de formuler des « propositions opérationnelles » permettant de mettre en œuvre ces recommandations pour, semble-t-il, passer d’une simple relecture à une abrogation de la loi portant Charte des partis politiques. Même s’il a adopté, il y a quelques jours, en Conseil des ministres un projet de loi portant Charte des partis politiques, on ne sait rien du contenu ni même des grands axes. Nous retenons, à ce stade, que les ANR ni les concertations nationales des forces vices ne sauraient suffire à elles seules à déclencher un audit de la Section des Comptes mais elles peuvent bien servir de motivation pour le Premier ministre pour mettre en branle une prérogative légale.

1.2. L’Instruction du Premier ministre.

D’un point de vue matériel, le Premier ministre est bel et bien fondé à demander (et non instruire) la Section des Comptes de procéder à des vérifications, qui plus est lorsque celles-ci figurent dans le champ de compétence de ladite Section. « Article 116 : La Section des Comptes : ….peut, à tout moment, exercer tout contrôle soit de sa propre initiative, soit à la demande du Président de la République, du Premier ministre, du Président de l’Assemblée nationale ou du Président de la Cour Suprême. Alinéa 7 : Elle vérifie les comptes des partis politiques. » A noter que la lettre de la Section des Comptes parle d’instruction du Premier ministre alors que la loi quant à elle parle bien de demande. La distinction entre les deux termes n’est pas sans intérêt. En clair, l’instruction provient d’une autorité supérieure qui donne des ordres, des directives, des consignes ou des procédures à suivre à ses subordonnés ou à des personnes placées sous son contrôle. Ce qui ne saurait être le cas dans la relation entre le Chef du Gouvernement et la Cour Suprême, bien évidemment au nom du sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs. En revanche, le demandeur n’a pas nécessairement d’autorité hiérarchique sur l’entité à laquelle il s’adresse. Pour aller plus loin, la Section des Comptes a même la latitude de juger de l’opportunité d’une telle mission. Dès lors, ce n’est plus la compétence du Premier ministre à demander l’audit qui est discutable mais bien son étendue.

 3.2. Du champ d’application de l’audit de la Section des Comptes

2.1. L’horizon  temporel visé. Aux termes de la lettre de la Section des Comptes adressée aux présidents des partis politiques, l’audit s’étendra sur la période de juillet 2000 à mai 2025 soit quasiment 25 ans.

2.1. Limites des moyens de la demande : Cette demande pose deux séries de problèmes : - Le délai de conservation des archives comptables et financières pour des organisations de statut privé est de dix ans (article 24 Acte OHADA : Les livres comptables ou les documents qui en tiennent lieu, ainsi que les pièces justificatives sont conservées pendant dix ans). Il n’y a donc, à proprement parler, pas de base juridique à demander des comptes sur une période de 25 ans. Sauf à s’adosser à la formulation de l’article 26 alinéa 2 de la loi abrogée de 2005 portant Charte des partis politiques « Les documents et pièces comptables doivent être conservés pendant dix ans au moins ». Cette dernière mention suppose-t-elle que l’obligation de conservation peut aller au-delà de dix ans ? En ce cas-ci, il aurait fallu le prévoir de manière expresse. Précisons que, s’agissant des organismes bénéficiant d’un concours financier de l’État (y compris les partis politiques bénéficiant de subventions), le contrôle ne doit concerner que le compte d’emploi des fonds publics reçus qui doit être tenu à la disposition de la Section des Comptes. Si le concours dépasse 50% des recettes totales de l’organisme bénéficiaire, le contrôle s’exerce sur l’ensemble de la gestion. Dans le cas contraire, les vérifications se limitent au compte d’emploi (article 333 de la loi 2016-046).

- La disponibilité des présidents de partis dissous et interdits de toute activité, notamment de réunion, d’ouverture des sièges des partis. En demandant aux présidents de partis de « faire prendre les dispositions nécessaires pour l’accueil de l’équipe d’audit au niveau des structures de votre parti », la lettre de la Section des Comptes pose un problème de bon sens sachant que le dispositif du décret N°2025-0339/PT-RM du 13 mai 2025 portant dissolution des partis politiques et des organisations à caractère politique en République du Mali prescrit notamment (article 2) l’interdiction de toute réunion des membres, l’interdiction à toute personne de favoriser la réunion des membres, l’interdiction de toute activité comme fondateur, président, directeur ou administrateur, et de manière générale l’interdiction de toute autre activité politique ou à caractère politique. Au regard de cette prescription, accomplir quelque diligence que ce soit demandée par la lettre de la Section des Comptes reviendrait à s’exposer aux récriminations prévues à l’article 3 du décret de dissolution (faisant lui-même objet de recours en excès de pouvoir devant la Section Administrative de la Cour Suprême).

 3. Des questions de forme soulevées.

 3.1. Il nous est loisible de noter une variation entre l’objet de la demande (audit du financement des partis politiques) et la supposée recommandation des concertations (audit du financement public des partis politiques).

4 Duquel s’agit-il ? Le premier n’ayant aucune limite au champ d’application tandis que le second ne devra s’intéresser qu’aux financements reçus de l’État.

3.2. Un air de déjà vu, car certains partis politiques ont présenté leurs comptes à la Section des Comptes conformément à la Charte des partis politiques (avant son abrogation). Tout cela a-t-il pu être mal fait et cela depuis plusieurs années pour que l’on ressente le besoin de le refaire aujourd’hui ?

3.3. Le « timing » de la demande interroge ; pourquoi cet audit intervient-il concomitamment avec la dissolution générale des partis politiques et des associations à caractère politique ? Cet audit se situe en dehors du timing habituel des audits des comptes des partis politiques et court le risque de renforcer les soupçons de chasse aux sorcières et d’être accusé de détournement de pouvoir.

4. Discussion juridique :

 4.1. La question de la responsabilité des partis politiques dissous est complexe, d’autant plus que l’audit de la Section des Comptes est annoncé dans la foulée de la dissolution desdits partis. Or, en droit et en théorie, même après la dissolution d’une entité juridique (comme un parti politique), il peut y avoir des mécanismes pour demander des comptes sur sa gestion passée, notamment en ce qui concerne les aspects financiers. La dissolution ne fait pas disparaitre les obligations contractées ou les éventuels détournements de fonds publics (dans le cas où le parti aurait bénéficié de subventions de l’État, comme ce fut souvent le cas). Cependant, la mise en œuvre de ces mécanismes est sujette à plusieurs facteurs, notamment  - Le cadre juridique de la dissolution : la manière dont la dissolution est prononcée peut influencer les procédures de reddition de comptes ; au Mali, la dissolution des partis politiques par un décret pris en Conseil des ministres en mai 2025 est elle-même contestée devant la justice ;

 - La nature des « comptes » demandés : s’agit-il d’une vérification financière, d’une enquête sur des allégations de mauvaise gestion ou d’autres types de responsabilité ?

- L’existence d’organes de contrôle : existe-t-il des organes de contrôle capables de mener ces investigations même après la dissolution des partis, la réponse est oui ;

- La volonté politique : la mise en œuvre de ces procédures dépendra de l’intention réelle des autorités en place, surtout dans un contexte politique tendu. Dans le contexte actuel, la dissolution des partis politiques a été (légitimement) perçue comme une restriction des libertés fondamentales et a suscité des recours en justice. Il est donc probable que la priorité actuelle soit davantage sur la légalité de cette dissolution que sur une reddition de comptes à proprement parler des partis dissous. Au total, la possibilité de demander à un parti politique dissous de rendre des comptes sur sa gestion existe mais sa concrétisation dépend fortement du cadre légal, de la nature des faits reprochés et du contexte politique et juridique du pays.

4.2. Les partis politiques n’ont rien à craindre et n’encourent plus rien, depuis leur dissolution générale.

4.3. Et si les cibles étaient les fondateurs, présidents et autres dirigeants des partis politiques tout simplement ? Car eux, seraient personnellement passibles de sanctions financières voire pénales

5 de manière à être inéligibles ; ceci est un non-sens vu qu’il n’est pas envisagé d’élection avant un long moment. Un peu de bon sens de la part de tous les acteurs ferait du bien à notre ensemble faisant face à d’autres défis mettant en danger notre existence commune. La Section des Comptes peut toujours se ressaisir parce que même si les dirigeants des partis politiques voulaient faire preuve de courtoisie républicaine, ils pourraient se raviser en s’abstenant de faire suite à la demande d’audit, craignant d’être rattrapés par les prescriptions du décret de dissolution. Elle doit, en principe, disposer des éléments pour réaliser son audit sur pièces vu qu’aux termes de l’article 262 alinéa 2 de la loi portant organisation et fonctionnement de la Cour Suprême ainsi que la procédure suivie devant elle : « Ils (les greffiers et le secrétaire assistant le président) délivrent et certifient extraits et copies des actes intéressant le fonctionnement de la Section sous la responsabilité du Greffier en chef. Ils conservent pendant cinq (5) ans les pièces vérifiées et gardent pendant vingt (20) ans au moins les comptes jugés et les pièces frappées d’observations ainsi que les originaux des rapports et arrêts. ».

                                                                                                                        Koro Traoré Écrivain – Politiste

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