Désinformation, arme de guerre psychologique : Une menace pour la cohésion sociale au Mali

Dans les zones de conflit, les armes ne sont pas seulement les kalachnikovs, les drones et les mines artisanales.

24 Sep 2025 - 09:46
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Désinformation, arme de guerre psychologique : Une menace pour la cohésion sociale au Mali

 Les groupes armés ont appris à manier une arme plus insidieuse : la désinformation. Par des rumeurs savamment distillées, des vidéos montées de toutes pièces et des messages viraux sur les réseaux sociaux, ils façonnent des récits destinés à déstabiliser les esprits, miner la confiance entre citoyens et affaiblir les institutions. Ce qui n’est pas sans conséquences sur la cohésion sociale et le vivre ensemble dans les communautés.

« Le tissu social n’est plus comme avant. Aujourd’hui, le gîte et le couvert ne sont plus garantis à l’étranger, alors que c’est ce qui nous caractérise. Aujourd’hui, on veut tout savoir de lui. Pour couronner le tout, il y a une stigmatisation des ethnies, la haine envers l’autre parce qu’on croit qu’elles sont à la base de tous nos malheurs », affirme Alassane Chaïbou, résident à Tombouctou. Pour lui, la force de diffusion des fausses informations impactent plus que les communiqués ou discours officiels. Aissata Harbert, femme leader à Tombouctou, revient également sur l’impact psychologique de ces désinformations. Elle raconte des évènements liés à ces faits : « Ces désinformations créent un problème de cohésion, ici les gens sont devenus méfiants les uns envers les autres, surtout les communautés dites de peau claire et celles dites noire. Parfois on sent entre elles une certaine méfiance à cause des vidéos et audio qu’on entend partout. Il est même arrivé que des familles quittent précipitamment la ville parce qu’on avait fait circuler la rumeur que des soldats allaient venir les tuer. De même, des communautés à la peau noire s’enferment par peur des attaques ciblées ». pour Aïssata Harbert, ces psychoses ont fait que des foires hebdomadaires ont même été annulées.

Comprendre la désinformation et les stratégies utilisées

Selon Lassina Ogo Niangaly, journaliste expert en fake checking ou vérification des fausses informations, la désinformation consiste à fabriquer et diffuser de manière délibérée des informations inexactes pour nuire. A ses dires les groupes radicaux violents, ayant vite compris le pouvoir des réseaux sociaux, les exploitent pour diffuser rapidement leurs messages.

Fatouma Harbert, Directrice exécutive de Sankorelabs

Et pour Fatouma Harbert, Directrice exécutive de Sankorelabs, ils passent par des narratifs simplifiés, déshumanisés pour justifier et légitimer leurs actes à travers des vidéos ou des audios fabriqués, sortis de leurs contextes. Ils exploitent divers canaux, notamment WhatsApp, Telegram, les médias traditionnels comme les radios communautaires, et parfois s’appuient sur des leaders d’opinions, profitant d’évènements majeurs pour façonner leurs récits et atteindre un large public, explique-t-elle, tout en précisant que ces groupes ciblent tant le local que l’international. Par ailleurs, elle note qu’ils combinent les récits émotionnels, faux documents et témoignages fabriqués pour manipuler les perceptions des populations en utilisant les langues locales.

           Lassina Ogo Niangaly,

Des propos corroborés par l’expert en sécurité, Dr Aly Tounkara, du Centre des Etudes Sécuritaires Stratégiques au Sahel. Selon lui, les groupes radicaux violents, conscients de la grande présence des populations sur les réseaux sociaux, sont dans la manipulation des faits, et dans l’instrumentalisation du référentiel, qui inclut les prestations de services sociaux de base, notamment l’accès à l’eau potable, la sécurisation des personnes, des axes routiers etc. Et lorsque l’État central peine à fournir ces services, ces groupes les utilisent pour légitimer la violence, radicaliser et révolter les populations contre le pouvoir, grâce à la désinformation, surtout qu’en majorité celles –ci ne sont pas suffisamment outillées pour distinguer les bonnes des informations.

Impact psychologique de la désinformation

Tous affirment que la désinformation a des impacts néfastes sur le psychique des populations. Pour Daouda Guido, psychologue, la désinformation a de graves conséquences sur la psychologie des populations. « Elle modifie les comportements et les perceptions des citoyens tout en favorisant la méfiance entre les communautés. Elle influence et oriente les décisions des autorités », affirme-t-il.

Fatouma Harbert, quant à elle, appui en ajoutant que la désinformation crée de l’anxiété et un traumatisme collectif, laissant les gens dans l’incertitude et la méfiance. « Des recherches ont montré que la peur et la colère facilitent l’adoption et la transmission de contenus faux et rendent les populations plus vulnérables face aux récits manipulés ».

Initiatives contre la désinformation

Face à cette menace qui attise la peur , fragilise le tissu social et les actions des institutions publiques, plusieurs initiatives locales ont été mises en place pour amener les populations à identifier et vérifier les informations.

Parmi elles, la Directrice exécutive  de Sankorelabs, cite la formation des jeunes, des femmes et des leaders sur la désinformation. « A ces formations s’ajoutent des initiatives portées par lejalon.com, Benbéré, Appel Mali ».

Le Centre d’information Gouvernementale du Mali (CIGMA) a développée des alertes citoyennes qu’il publie en ligne. Récemment, une alerte citoyenne avait été lancée pour prévenir la population à se protéger contre la désinformation en ne relayant que les informations officielles. Cette alerte citoyenne conseille de faire attention aux rumeurs et fausses informations qui circulent «  Ne soyez pas une cible facile (…) Avant de cliquer, de commenter ou de partager, demandez-vous : est ce que cette source est fiable ? », recommande-t-elle. L’alerte citoyenne du CIGMA souligne que la désinformation est une arme de guerre qui vise à semer la peur, la division et la confusion.

Soulignant l’important rôle que doit jouer les professionnels des médias, Dr Tounkara, préconise que l’État aille au-delà des seuls canaux officiels dédiés à l’information en associant d’autres acteurs non étatiques, notamment des médias et du numérique. Ces derniers peuvent participer à déconstruire la désinformation, permettre à l’ensemble des populations d’accéder aux informations vérifiées et se prémunir contre les impacts négatifs de la désinformation.

De nos jours, Journalistes pour les Droits Humains, une organisation canadienne au Mali, participe activement à la lutte contre la désinformation et les discours haineux en organisant des fora communautaires pour dialoguer et éduquer les femmes et jeunes aux médias et à l’information ; en soutenant les journalistes femmes et créatrices de contenus en ligne pour produire des contenus médiatiques fiables et inclusifs ( reportages, articles de blog, entretiens, émissions débats, etc), en formant des leaders communautaires et les engager dans la lutte contre la désinformation et les discours de haine au sein de leurs propres communautés.

Khadydiatou SANOGO/maliweb.net

Ce reportage est publié avec le soutien de Journalistes pour les Droits Humains (JDH) au Mali et NED.

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