Sahel : le changement climatique comme facteur aggravant des conflits

Au Sahel, l’urgence climatique ne s’affiche pas en slogans. Elle se vit, chaque jour, dans les campagnes où les récoltes échouent, dans les villages où les puits se tarissent, dans les zones de conflit où les ressources deviennent un facteur de guerre.

21 Juin 2025 - 11:05
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Sahel : le changement climatique comme facteur aggravant des conflits

Pourtant, les gouvernements de transition du Mali, du Burkina Faso et du Niger persistent à ne répondre à la crise sahélienne que par la force. Alors que le changement climatique s’impose comme un facteur aggravant des conflits, leur silence ou leur inaction climatique devient un risque stratégique majeur.

Le tableau est sans appel. La région perd chaque année entre 100 000 et 120 000 hectares de terres arables, rongées par l’érosion, l’ensablement et l’épuisement des sols. Le changement climatique multiplie les épisodes de sécheresse extrême et rend les pluies de plus en plus imprévisibles.

Selon les dernières projections du Programme alimentaire mondial, 52 millions de personnes seront menacées d’insécurité alimentaire aiguë en Afrique de l’Ouest et centrale durant la saison de soudure 2025. Dans les trois pays membres de l’Alliance des États du Sahel, plus de 10 millions d’enfants nécessitent déjà une aide humanitaire. Et pourtant, ces chiffres n'ont provoqué aucune inflexion sérieuse des politiques publiques nationales.

Les autorités de transition continuent de penser la crise sahélienne sous l’angle strictement sécuritaire. La lutte contre les groupes armés monopolise les ressources, les discours et les alliances. Mais les armes ne feront pas pousser les arbres. La militarisation du territoire ne protège pas les éleveurs privés de pâturages, ni les cultivateurs confrontés à l’effondrement des rendements. Et les victoires tactiques, aussi nombreuses soient-elles, resteront sans lendemain si la base sociale et environnementale s’effondre.

Dans cette logique, le climat reste relégué à la marge. Aucune stratégie climatique nationale intégrée n’a émergé au sein de l’AES. Les projets environnementaux sont fragmentés, dépendants de bailleurs étrangers, souvent cantonnés à des zones périphériques. Les filets de sécurité sociale adaptés aux chocs climatiques, comme le recommande le Sahel Adaptive Social Protection Program (SASPP), sont quasi inexistants dans les zones rurales, alors qu’ils représentent une chance de prévenir les déplacements massifs, la misère et la radicalisation.

Sur le terrain pourtant, des solutions locales existent. Dans la région du Yatenga, au nord du Burkina Faso, des communautés rurales ont su restaurer des centaines d’hectares dégradés en construisant des diguettes de pierre, une technique traditionnelle simple et efficace pour retenir l’eau et reconstituer les sols. Ces initiatives, portées par les paysans eux-mêmes avec l’appui de quelques ONG, démontrent que la résilience est possible, à condition d’être reconnue et soutenue.

À la radio communautaire de Téra, dans l’ouest du Niger, Aïssa Garba, présidente d’un groupement de femmes agricoles, alerte : « On parle de sécurité, mais on oublie que la vraie insécurité, ici, c’est de ne plus savoir si on va manger demain. Ce sont nos enfants qui s’en vont, faute de terre, faute d’eau. Si on nous aide à garder nos champs vivants, on tiendra le reste ». Ces mots résument mieux qu’aucun rapport les défaillances du modèle actuel.

Changer de cap

Le Sahel n’est pas un cas isolé. Du lac Tchad à la Corne de l’Afrique, les experts observent la même mécanique : le changement climatique aggrave la vulnérabilité des sociétés, détruit les économies locales et facilite l’ancrage des acteurs armés qui se présentent comme des protecteurs ou des employeurs. Ignorer cette dynamique, c’est répéter les erreurs qui ont transformé des crises alimentaires en guerres civiles ailleurs sur le continent.

Il est encore temps de changer de cap. Faire du climat un pilier de la sécurité nationale ne relève pas du luxe mais de la survie. L’AES doit mettre en place une planification commune des risques climatiques, mutualiser les données, investir dans la restauration des écosystèmes et la transformation de l’agriculture. Surtout, elle doit redonner aux communautés locales les moyens d’agir. La résilience ne viendra pas d’en haut, elle viendra des terroirs.

Face à la désertification, aux déplacements massifs et à l’effondrement des ressources, la question n’est pas de savoir si le climat est un enjeu politique. Il l’est déjà. La seule question qui vaille est de savoir si les dirigeants des transitions auront le courage d’en faire une priorité. L’avenir nous le dira.

Cheick B. CISSE

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