Décryptage : De la critique libre !
Ce matin, je ne traiterai ni du conflit Israël-Iran, ni de la nouvelle Direction générale des élections en Guinée-Conakry. Mais je m’intéresse à la critique, un des défis de la gouvernance.

Critiquer pour susciter un changement
Ségué-Ségué en Bambara, Fesu-Fesuyan en Songhay, la critique se traduit par les possibilités d’analyser un modèle de société de manière scientifique, politique ou citoyenne dans l’espoir de susciter un changement profond de la gouvernance des institutions. Le mot critique a toujours été controversé, entraînant une certaine réticence. Il n’a jamais fait l’unanimité. Ceci dit, il permet de dépeindre les enjeux sociaux.
Au sens constructif du terme, la critique est un ferment des progrès scientifiques et sociaux qui contribue à l’amélioration de l’humanité. Critiquer, c’est explorer les chemins par lesquels l’action humaine se construit. Loin de toute abstraction, critiquer, c’est exprimer librement une opinion sur un sujet donné, comme les lacunes d’un travail scientifique, d’un projet de développement ou d’une action politique. Critiquer, c’est donc s’inscrire dans un travail de vérité. Mais « la vérité n’est jamais politiquement indifférente » observe Foucault.
Dans ce cadre, faire de la critique, c’est aller à contre-pied des mécanismes de reproduction des injustices et des inégalités telles que la corruption, l’indifférence, la famine, etc. Enfin, la critique se construit grâce à notre capacité à nous remettre en question.
La critique, loin d’être une bombe à fission politique
« … L’action gouvernementale repose sur des femmes et des hommes engagés […] ouverts à la critique constructive… », scande le Premier ministre Abdoulaye Maïga lors de son discours sur le plan d’action gouvernemental le 16 mai 2025 au Conseil national de transition (CNT). Depuis, les Maliens retiendront qu’il est désormais possible d’examiner les actions de l’exécutif. Un contexte où il n’est pas insignifiant de reconnaître la vitalité de la critique.
C’est aussi un contexte où il n’est pas banal d’admettre le bien-fondé de la critique au moment où l’intrusion numérique chamboule la gouvernance. Qu’à cela ne tienne, le 11 juin 2025, la transition octroie « un mandat de 5 ans renouvelable » au président de la transition, le Général Assimi Goïta. Ce jour-là, les Maliens gardent à l’esprit que l’avenir politique du pays s’est joué en partie au Conseil des ministres au palais de Koulouba. Une décision qui marque une séquence importante de notre histoire socio-politique, secouée par les crises : politique, sécuritaire, etc. Une décision qui n’échappera pas à la critique constructive, loin d’être une bombe à fission politique. Ne vouons personne aux gémonies.
La critique, un impératif politique
Connue pour ses effets pondérés, la critique pousse objectivement à atteindre un idéal : gouvernance vertueuse, développement harmonieux, justice équitable, paix durable, respect du droit, etc. Elle est un impératif politique. Elle doit garnir les discours et les actes pour bâtir une gouvernance irréprochable. Et comme toujours, les actions d’un régime progressent lorsque ce dernier s’ouvre à la critique. Remontons le temps. Hier, si le régime d’Alpha Oumar Konaré a échappé à l’instabilité chronique, c’est parce qu’il a laissé un espace à la critique libre.
En 1995, suite à un désaccord politique, Mamadou Lamine Traoré quitte l’Adema-PASJ pour créer le Mouvement pour l’indépendance, la renaissance et l’intégration africaine (Miria). Deux ans plus tard, le Collectif des partis politiques de l’opposition boycotte la présidentielle (Coppo) du 11 mai 1997, à l’exception du parti pour l’unité, la démocratie et le progrès (PUDP) de Mamadou Maribatrou Diaby. La raison du boycott : l’opposition dénonçait le manque de fiabilité des listes électorales. Détachés des logiques boutiquières, Konaré et ses opposants s’emparent de l’esprit critique pour dépasser leurs désaccords.
Le rêve d’un progrès social
Pour répondre aux désaccords politiques, le président Konaré érige une digue rationnelle pour incarner un autre Mali : celui du rayonnement international contre l’effacement, celui de l’apaisement contre la tension, celui de l’unité contre la désunion. Avec Konaré, un pas a été franchi pour sauver le Mali de la guerre, comme l’illustre la cérémonie de la flamme de la paix le 27 mars 1996 à Tombouctou. L’histoire et la politique sont deux univers fort proches l’un de l’autre. Hier comme aujourd’hui, la critique peut être une alliée pour réhabiliter l’État au-delà de Bamako.
L’allocution du général Maïga du 16 mai 2025, martelant le thème de la critique, se situe implicitement dans le sillage d’une promesse, celle d’une politique ouverte. Une promesse qui ne déplait pas. Mais à condition que Maïga s’inspire de l’artisan de l’indépendance (Modibo Keïta) et du chantre des vertus régaliennes de l’État, du désintéressement personnel et de l’esprit d’ouverture (Alpha O. Konaré). Aussi bien Konaré que Keïta rêvaient du progrès social et de l’unité du Mali. Leur crédo : résister aux forces de l’argent. Aujourd’hui, pour faire la paix, l’exécutif doit s’inspirer des tracés de Konaré et de Keïta. Pas seulement au Mali.
Gouverner, un casse-tête chinois
Depuis toujours, gouverner est un vrai casse-tête chinois. Les enjeux géopolitiques et les disparités économiques sont des ingrédients agissant sur la trajectoire des régimes. Au Burkina-Faso, l’indice de développement humain (IDH) est de 0,45 %. Au Mali, il est de 0,42 % (2024). Au Niger, il est de 0,39 %. Il serait donc crucial de créer un espace économique et politique pour réguler les conflits dans un espace, devenu le point de passage névralgique entre les pays du Golfe de Guinée et ceux du Sahara. L’espace sahélien attire les convoitises des uns et des autres. Il est dans une zone sous haute tension qui profite aux groupes narcoterroristes pour imposer par la violence leur modèle de société.
Une zone où les spadassins de la terrosphère pillent les villageois à quelques pas des camps militaires. D’ailleurs, les récentes poussées narcoterroristes prouvent la centralité du Sahel sur l’échiquier géopolitique africain où entre territoires, les liens se distendent. Une odeur abjecte de division se diffuse. Dans la trame de la vie quotidienne, des trous béants se forment. Sous l’effet de la violence, la société se fragmente. À Bamako, à Ouagadougou et à Niamey, les algarades emberlificotent le citoyen. Elles conduisent à notre perte. Dans ce cas, seule la critique objective permet de vivre mieux, de créer les conditions d’une meilleure qualité de vie, etc.
Prendre de la hauteur
Terminons. Pour faire face à nos différentes crises, la critique est bonne conseillère. Dans les règles de l’art, le scientifique, le journaliste, le politique, l’associatif, le syndicaliste et le citoyen doivent trouver leur place pour opiner sur la situation du pays : liberté des leaders d’opinion, retour des exilés politiques, réhabilitation des partis politiques, construction de la paix, développement, sécurité, etc. L’enjeu est de donner à comprendre ce qui s’y passe. Plus un exécutif s’ouvre à la critique libre, plus il favorise les possibilités d’adhésion des citoyens à sa politique. Intégrer une dose de critique libre dans la gouvernance, c’est prendre de la hauteur pour changer, et hisser le drapeau vert-jaune-rouge au sommet du Mont Hombori, le plus haut du Mali. Pour l’éternité !
Mohamed Amara
Sociologue
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