Charte : La paix par le déni et la contrainte
On attendait l’alternative annoncée à l’Accord d’Alger, elle est passée apparemment par l’altération et une dilution de la problématique.

C’est l’impression qu’il se dégage du texte attribué à l’équipe de l’ancien PM Ousmane Issoufi Maïga et qui a parcouru les différents sociaux aussitôt après sa remise officielle au chef de l’Etat et avant même d’être traduit en projet de loi par le Conseil des ministres, la semaine dernière. En attendant sa validation par l’organe législatif de la Transition, le nouvel outil de construction nationale, selon le contenu ayant fuité, se présente comme le reflet conforme de la démarche ainsi que des perceptions, approches et options auxquelles son processus d’élaboration a obéi. Il respire par conséquent la dérobade de la réalité, au détour d’une compilation de concepts théoriques, voire un répertoire de vertus et de préceptes de bonne tenue citoyenne qui prétend être le fruit d’une large concertation avec les plus grandes références morales du pays. C’est aussi, pour sûr, un impressionnant assemblage d’acteurs mobilisables, selon leurs vocations et domaines de prédilection respectifs, en tant que potentiels vecteurs ou porteurs de la mise en œuvre des objectifs poursuivis. Le kaléidoscope de bonnes intentions, pour ce faire, s’étend sur un champ insondable d’éléments et facteurs certes consubstantiels de la paix, de la réconciliation nationale et de la convivialité, entre les autres, mais d’une étendue assez vague et variée pour que l’essentiel se confonde avec l’accessoire; à défaut de s’y noyer. Une nette prédominance de la vision globale, qui enseigne sur les concepts de «Nation» et «d’Etat» plus qu’elle n’aborde ses défis de cohésion et d’unité par ses pendants les plus urgents.
Exit, en définitive, la doctrine et les perceptions traditionnelles de la problématique malienne sous le prisme des nécessaires compromis avec les composantes en rupture avec l’ensemble national, ceux-là qu’il est convenu d’appeler les protagonistes. C’est ainsi que la brûlante équation de Kidal, par exemple, est ramenée à sa simple dimension de groupes armés à désarmer, pendant que cette région s’est quasiment vidée de ses occupants historiques, depuis sa reprise par l’armée régulière. Elle est notamment abandonnée à des allogènes et autres représentants de l’administration, de la même façon que les deux autres régions du septentrion l’avaient été en son temps, suite à l’irrésistible poussée de la coalition djihado-rebelle. Or les facteurs, stigmates et séquelles de la crise multidimensionnelle demeurent inchangés et auront résisté à l’érosion d’une décennie de traitement biaisé, depuis 2012. Sauf qu’en guise de remède alternatif, le nouveau virage emprunté par la Transition n’aura consisté qu’à éclipser les vrais protagonistes de la paix au profit de leviers ordinaires d’équilibre et de stabilité sociale. L’approche n’est guère plus rationnelle sur le Centre du Mali où l’instabilité rampante a pris forme entretemps et se traduit depuis quelques années par des malaises intercommunautaires visiblement traités avec les mêmes approches inappropriées aux déplacements massifs de population, aux tueries et extorsions de biens, entre autres conséquences du traitement de la problématique par le recours aux milices.
Sont également ignorées, dans le même sillage, les malaises inhérents au bras de fer entre les autorités de la Transition et la classe politique malienne, sur fond d’atteintes aux droits et libertés, de restrictions et privations propres à grossir les motifs de frustrations et de rupture dans une société malienne déjà affectée par les barrières d’incompatibilité entre partisans et adversaires des récentes tribulations politiques. En effet, de la suspension des activités politiques à la loi de modification de la Charte de la Transition en passant par le décret d’interdiction de l’action partisane consécutif à l’abrogation de la Charte des partis politiques, beaucoup d’eau a passé sous le pont et contribué à exacerber les malaises qui pourraient justifier l’avènement d’un nouveau mécanisme de cohésion nationale.
La négation de l’évidence atteint par ailleurs son comble avec la désignation, par des euphémismes absurdes, d’un phénomène aussi prépondérant dans les déchirures du tissu national que les renversements cycliques de régime. Le coup d’Etat est ainsi sanctuarisé et redevenu le même tabou qu’il fut en 2012, sans doute pour en occulter la portée criminelle que même les lois d’amnistie ne suffisent pas à effacer. On lui a notamment préféré la notion inédite de «mutation politique» du 18 Août 2020, qui ne saurait masquer pour autant la part des déstabilisations et ruptures institutionnelles ainsi que la responsabilité des forces armées dans les équations et défis de réconciliation qui se posent à la nation malienne. Avant le recours exceptionnel à une certaine loi d’entente nationale, ils étaient pourtant naguère encore accentués par la dualité mortelle «bérets rouges - bérets verts».
Le mal-être socio-économique n’est pas en reste parmi les facteurs mis sous le boisseau par l’équipe Pinochet, tandis qu’en dépit d’un pacte social consenti par les corporations, le front social informel bourdonne et bouillonne depuis l’avènement des prélèvements de solidarité que les consommateurs n’approuvent que sous la même contrainte avec laquelle la nouvelle Charte tente de s’imposer comme une camisole de force plutôt qu’un instrument consensuel entre protagonistes de la crise malienne.
En recevant le document des mains de son principal concepteur, le président de la Transition ne s’est pas contenté de le hisser à la dignité de Kouroukanfouga. Il a aussi dévalorisé les dividendes des instruments précédents par trop d’insistance sur leur échec alors que la Charte en gestation pourrait ne même pas prendre son envol, tant il est alourdi par le poids des tares congénitales et rédhibitoires.
A. KEÏTA
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