Coogan Tan : AÉS / CÉDÉAO : divorce frontal évité, et maintenant ?

Le communiqué commun publié à l'issue des consultations du 22 mai 2025 à Bamako marque une inflexion importante dans les relations tendues entre la Confédération AÉS (Burkina Faso, Mali, Niger) et la CÉDÉAO, après l'annonce de leur retrait de l'organisation sous-régionale.

31 Mai 2025 - 02:05
30 Mai 2025 - 12:17
 1
Ecouter cet article
Coogan Tan : AÉS / CÉDÉAO : divorce frontal évité, et maintenant ?
00:00
Coogan Tan : AÉS / CÉDÉAO : divorce frontal évité, et maintenant ?
Seidina Oumar Dicko

Cependant, ce grand moment diplomatique, loin de clore les différends, ouvre une séquence de négociations complexes autour des enjeux politiques, sécuritaires, institutionnels et économiques qui lient encore les deux entités.

Rappelons que depuis leur retrait officiel, les États de l'AÉS ont fait le choix de s'inscrire dans une nouvelle architecture régionale centrée sur la sécurité, la souveraineté et le rejet des ingérences extérieures. Ce virage a été mal perçu par la CÉDÉAO, qui y voit une remise en cause de son projet d'intégration régionale. Toutefois, le communiqué fait état d'une volonté d'apaisement. En effet, au vu de l'adoption d'un relevé de conclusions et du lancement de négociations, cela augure un choix de dialogue, non de rupture brutale.

La mention explicite de "l'intérêt supérieur des populations ouest-africaines" et du maintien temporaire de la libre circulation des biens et des personnes témoigne, de mon point de vue, d'une tentative de préserver un minimum de coopération dans l'attente de nouveaux accords.

Mais, derrière cet affichage consensuel, je constate que les divergences de fond demeurent. L'AÉS promeut une vision sécuritaire et souverainiste de l'intégration, recentrée sur les priorités internes, tandis que la CÉDÉAO continue de défendre un modèle plus libéral et institutionnel de coopération. Aussi, ai-je l'impression que ce choc de paradigmes structure les tensions actuelles et conditionnera la suite des discussions.

Au-delà des divergences, le paragraphe 4 du communiqué souligne une préoccupation commune : "la situation sécuritaire dans la région sahélienne". Ce point de convergence est stratégique : aucune des deux entités ne peut ignorer l'ampleur des défis liés au terrorisme transnational. La coopération sécuritaire apparaît ainsi comme l'un des rares domaines où une entente pragmatique est envisageable, sinon indispensable. Cela pourrait constituer le socle d'un nouveau contrat de coopération moins ambitieux, mais plus ciblé.

Par ailleurs, signalons, encore une fois, que cette nécessité n'efface pas les divergences en matière de doctrine sécuritaire. L'AÉS défend une approche militarisée, centrée sur les armées nationales et les alliances alternatives (notamment avec la Russie), tandis que la CÉDÉAO conserve une approche multilatérale et partenariale, avec des appuis occidentaux. C'est dire que ce clivage renforce les suspicions et risque de limiter la portée des engagements conjoints.

Un autre point majeur évoqué dans le communiqué est le maintien temporaire de la libre circulation des personnes et des biens. Cette concession mutuelle révèle l'interdépendance économique entre les États de la CÉDÉAO et ceux de l'AÉS. Le commerce transfrontalier, les échanges migratoires et les liens sociaux sont trop imbriqués pour être rompus sans conséquences. La question qui se pose alors est celle d'un éventuel modèle d'"intégration à la carte" où certaines solidarités économiques seraient préservées, en dépit d'un désengagement politique plus marqué. L'appartenance de la majorité des pays de la CÉDÉAO et des trois pays de l'AÉS à la monnaie commune (le CFA) servira sans doute de pont à cette forme d'intégration à la carte.

Cette option suppose une ingénierie juridique fine et une volonté politique partagée que les entités régionales ont intérêt à mettre en place pour surmonter la défiance actuelle.

La crainte d'un "effet domino" au sein de la CÉDÉAO, avec d'autres États tentés de suivre l'AÉS, pourrait par ailleurs inciter la Commission de la CÉDÉAO à durcir ou à infléchir sa position. C'est selon, la volonté d'aller vers une coexistence négociée ou de privilégier la rupture des protagonistes. Tout porte à croire qu'une coexistence pacifique se dessine avec la tenue de ces consultations bilatérales, une vraie fenêtre de dialogue dans un climat de défiance.

J'ai personnellement aimé l'esprit de fraternité et de responsabilité des deux parties, qui reste à confirmer par des actes concrets. Si une rupture frontale a été évitée pour l'instant, les négociations à venir s'annoncent ardues.

Seidina Oumar DICKO

Quelle est votre réaction ?

Like Like 0
Je kiff pas Je kiff pas 0
Je kiff Je kiff 0
Drôle Drôle 0
Hmmm Hmmm 0
Triste Triste 0
Ouah Ouah 0